Latrines et vieux cacas - 2

Pourquoi fouille-t-on dans les cabinets ?

Raconté pour vous par Cécile, le 22 octobre 2021 - temps de lecture : 6 mn

Quand ? De la Préhistoire à la fin du Moyen Âge - Où ? France, États-Unis, Écosse

Les programmes de recherche portant sur les latrines à différentes époques, sont très intéressants. On ne travaille pas simplement à inventorier la présence ou l’absence de lieux d’aisance et à en décrire l’architecture, mais aussi à en comprendre… le contenu !

Pour cela, évidemment, il faut que les latrines aient été disposées au-dessus d’une fosse septique, et que les déjections et ordures diverses jetées dedans aient pu se conserver. Cela implique des milieux chimiques particuliers, pauvres en oxygène (humides), riches en phosphates ou calcaire, ou encore ultra secs. Ainsi, toutes les latrines que l'on fouille ne se prêtent pas à des analyses très poussées. Mais quand c'est le cas, les résultats sont toujours étonnants !

1. Déjections fossiles et autres restes évocateurs

Exemple de coprolithe (le nom savant pour dire "caca fossile"...) du site préhistorique de Ceyssaguet (Haute-Loire), dans J. Argant 2014 : la copropalynologie, Bull. Mus. Anthropol. préhist. Monaco, n° 54, en ligne - photo : M;-F. Bonifay.

Alors que reste-t-il, finalement, après plusieurs siècles ou millénaires ?

Dans les plus exceptionnels des cas, et bien il reste vraiment des morceaux bien moulés

Sinon, il reste une masse terreuse ressemblant à de l’humus, dans laquelle on retrouve tout ce qui a échappé à la digestion des officiants.

Exemples de graines et cosses provenant de coprolithes humains du site de Conley Cave (États-Unis), dans K. McDonough 2019 : Middle Holocene menus: dietary reconstruction from coprolites at the Connley Caves, Oregon, USA, Archaeological and Anthropological Sciences, 2019, en ligne.

Et c’est là que ça devient vraiment intéressant pour les archéologues.

En effet, ces pollens, graines, pépins ou autre esquilles d’os, arrêtes ou écailles de poisson, tous petits morceaux de feuilles, cosses de céréales, peaux de fruits et légumes, donnent des indications très précieuses sur les régimes alimentaires réels de nos ancêtres.

Micro-esquilles d'os (w, x, y) et fragments de vertèbres de poissons (z, aa, bb, cc), provenant des coprolithes humains de Conley Cave.
Oeuf de ténia (a) et pou d'animal (e, f, g), coprolithes humains de Conley Cave.

Les sédiments très organiques qui constituent les remplissages des fosses septiques renferment aussi les restes des différents parasites qui tourmentaient leur système digestif.

En somme, c’est tout un tableau de l’état sanitaire des populations qui ressort des latrines !

2. Les dessous du château de Blandy-les-Tours

La fouille des fosses réceptacles des toilettes de la salle de l'Auditoire, au château de Blandy-les-Tours (Seine-et-Marne), utilisées entre le XIVe et le XVIe siècle, est un bon exemple de ce qui peut être fait.

crédits : Département de Saine-et-Marne

Premier constat : comme souvent, les fosses contenaient un grand nombre d’objets brisés de toutes sortes (céramique, verrerie, objets métalliques …), des résidus de préparation des aliments en cuisine (déchets de boucherie notamment), des cendres et charbons, et même des déchets de construction.

Ces toilettes étaient donc aussi des dépotoirs standards, où étaient rejetés les restes des étapes de la préparation des repas, les résidus du nettoyage de la cuisine et des autres salles adjacentes, ainsi que les produits du curage des cheminées !

Château de Blandy-les-Tours : la salle de l'Auditoire - crédits : Département de Seine-et-Marne
Parmi les pollens, des œufs de deux parasites intestinaux (des vers) : les Ascaris et les vers trichocephales - dans Benoît Clavel et al. 2006 : Mode de vie et alimentation à la fin du Moyen-Âge au château de Blandy-les-Tours. Approche pluridisciplinaire des latrines de la salle de l’Auditoire. Tours : FERACFe, 2006. (Supplément à la Revue archéologique du centre de la France, 28) - En ligne (téléchargeable)

L’analyse des graines et autres restes végétaux, des pollens, des micro-parasites, mais aussi des ossements animaux montrent plusieurs choses.

D’abord, la grande quantité de pollens de graminées et de diverses plantes odoriférantes et herbes de prairie montre que les sols de certaines pièces étaient jonchés de brassées de végétaux, ce qui facilitait leur nettoyage.

Les restes osseux d'une caille, mis au jour dans les latrines de la salle de l'auditoire - dans Benoît Clavel et al. 2006 : Mode de vie et alimentation à la fin du Moyen-Âge au château de Blandy-les-Tours. Approche pluridisciplinaire des latrines de la salle de l’Auditoire. Tours : FERACFe, 2006 - En ligne (téléchargeable)

Les habitants, sans trop de surprises, mangeaient beaucoup de blé et de seigle, des légumes et fruits de saisons (beaucoup de prunes et de raisins), mais aussi des plantes sauvages de la famille des composées et des ombellifères (orties, chicorées, cerfeuil, fenouil, cèleri, salsifis, artichauts, topinambour).

Ils faisaient aussi grande consommation de pourpier, une plante grasse qu’on ne mange plus de nos jours.

Les viandes et poissons consommés étaient également très variés, bon reflet de l’aisance des seigneurs du château.

Oui, oui, il y a bien un messager à cheval dans la salle de banquet... d'où l'importance de recouvrir les sols d'herbes et autres plantes parfumées - Source : un banquet aristocratique au XVe s., par le Maître de l'Alexandre-Wauquelin - crédits : BnF - dossier Passerelle "le château fort".
Petits blocs de mousse naturelle vieux de 1 000 ans, utilisés comme papier toilette, sur le site médiéval de Whithorn (Ecosse). Les végétaux ont été conservés dans un environnement tourbeux - crédits : The Whithorn Trust.

Détail insolite, de nombreux brins de paille ont été découverts dans les comblements des latrines. Les touffes de paille servaient-elles de papier toilette ? Ouille ! Peu probable de l’avis de ceux qui en ont fait l’expérience…

Ces éléments semblent plutôt faire partie du système d’entretien des cabinets : la paille devait se trouver au sol, pour éponger les projections malencontreuses et faciliter le nettoyage, et était peut-être utilisée aussi pour recouvrir le produit de chaque session menée à bien, un peu comme la sciure dans les toilettes sèches.

Voilà encore de quoi réviser le cliché de manque d’hygiène associé au Moyen Âge !

Des latrines (doubles !) bien placées, au-dessus d'un cours d'eau, qui sert aussi de dépotoir général. L'homme sur l'escalier y jette ses déchets. Miniature fin XVe s.

Dernière remarque concernant l’utilisation de ces latrines de la salle de l’Auditoire : rien n’avait été prévu pour l’évacuation des trop-pleins et la vidange ! Il est par conséquent probable qu’elles aient été abandonnées parce que les fosses septiques étaient trop remplies. Le comblement final avec des une grande quantité de déchets de construction avait peut-être pour objectif d’isoler et sceller définitivement ces espaces insalubres.

C’est à se demander si c’était vraiment hygiénique, en fait, des toilettes fixes ...

Remettons-nous dans les contextes de l’époque : en terme de possibilités d’attraper des staphylocoques en tout genre, une lunette non nettoyée au-dessus d’une fosse septique pleine, c’est le festival international de toutes les infections.

Vu comme ça, il fallait peut-être mieux assurer l’évacuation efficace et le recyclage des matières fécales et des urines plutôt que de les laisser stagner dans des fosses septiques mal isolées.

Hélas, en ville, le ramassage des ordures était beaucoup moins fréquent que ne le nécessitaient les besoins de la population...

3. "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme"

Cette célèbre devise du chimiste Antoine de Lavoisier est justement aussi applicable au traitement des déjections humaines et animales. Car ces produits corporels n’allaient évidemment pas que dans les égouts ou les fosses septiques : ils étaient récupérés et recyclés, depuis la plus haute Antiquité (vraisemblablement depuis l’invention de l’agriculture et de l’élevage !) : les urines servaient au tannage des peaux et au dégraissage de la laine, tandis que les selles fournissaient la base d’un engrais azoté précieux.

En ville, on fait ses besoins où l'on peut, et même sous le nez des voisins... Dans des latrines privées dans les maisons riches (en hauteur) ou directement dans les ruelles, entre deux bâtiments, pour les autres... - crédits : Bnf. Source : Decameron, par Laurent Premierfait, Bibliothèque de l'Arsenal, folio55, sur Gallica

En ville, cette activité prenait une importance particulière, du fait de la densité d’occupation et de la promiscuité des habitants : elle s’imposait partout où le tout-à-l’égout n’existait pas et relevait de mesures sanitaires de base, même si la lutte contre les pollutions et miasmes issus de la stagnation des ordures est toujours restée (et reste encore) un grand problème urbain.

L’affaire de recyclage avait une certaine valeur commerciale, puisque l’empereur romain Vespasien fit taxer l’urine collectée dans des amphores servant de vespasiennes (eh oui, le nom vient de là) au coin des rues, pour augmenter les revenus de l’État. C’est cette initiative qui a donné l’expression « l’argent n’a pas d’odeur »

Connus par les textes, des ramasseurs professionnels de boues en tout genre, appelés « vidangeurs », s’occupaient aussi au Moyen Âge de désengorger les rues des immondices et autres contenus de pots-de chambre déversés sur les voies publiques.

Ce sont eux également qu’on appelait pour curer les fosses septiques.

4. Les latrines, des poubelles comme les autres ?

S’il y a un aspect de l’archéologie des petits coins qui me semble particulièrement intéressant à relever, c’est la fonction large des latrines privées : de l’âge du Fer oriental (Jérusalem, notre exemple de la semaine dernière) à la fin du Moyen Âge (Blandy), elles servent aussi bien aux habitants pour assouvir leurs besoins naturels que de vide-ordure général, du moment que ce que l’on veut jeter passe par le trou de la cuvette.

Le comblement de la fosse réceptacle des latrines d'un logis de la fin du XVe s. à Blois, faubourg de Vienne. Vers le fond, une couche de tuiles. Vous voyez, ce n'est pas si terrible à fouiller ! - crédits : INRAP / Michel Barret

Certes, toutes sont conçues pour qu’un postérieur de taille standard puisse d’y asseoir, ou que l’on puisse s’accroupir au-dessus.

Mais la fouille des fosses réceptacle montre toujours qu’on y évacuait aussi toute sorte de déchets domestiques.

Les déchets organiques étaient ainsi régulièrement recouverts par les déchets non organiques (cendres, poussières, céramiques…), ce qui pouvait contribuer à faciliter leur décomposition dans des conditions d’odeur plus supportables.

Les latrines sont juste à côté du fourneau, à droite de la cuisinière, sur cette évocation d'une cuisine de Pompéi, par Peter Connolly - dans P. Connolly, H. Dodge, La vie dans les cités antiques : Athènes et Rome, Könneman, 1998.

Même à la période romaine, le rôle des latrines privées, dans les maisons, n’est pas tout à fait bien défini. Ainsi à Pompéi, dans la maison du Poète tragique, l’unique cuvette de toilettes, nullement isolée des regards, se trouve dans la cuisine, à côté du fourneau. Sympa la préparation du repas !

En fait, un peu comme dans le palais de Jérusalem décrit plus haut et à Blandy-les-Tours, la pierre percée fait aussi (et avant tout ?) office de poubelle, reliée à un canal souterrain d’évacuation des eaux usées.

Dans ce sens, on pourrait plutôt considérer que les habitants faisaient leurs besoins directement dans les égouts, ce qui semble finalement assez logique du point de vue hygiénique… moyennant le fait de bien nettoyer la lunette, et ne pas être incommodé par les odeurs pendant que l’on cuisine, évidemment.

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