La tour romaine de Grisset

(Fréteval, Loir-et-Cher)

Exploré pour vous par Cécile, le 10 mai 2023 - temps de lecture : 3 mn

Temps de visite estimé : 15 mn, 45 mn en faisant la petite marche depuis le parking avant le chemin d'exploitation. On peut aussi s'avancer en voiture jusqu'à la tour - site ouvert et libre.

Niveau de difficulté : facile.

Voir quoi ? 

Une étrange petite tour dotée d'une large ouverture, isolée dans la plaine du Loir, en face du donjon de Fréteval, présenté la semaine dernière. L'incongruité de l'édifice tient au fait qu'il est la seule construction à 1 km à ronde, mais aussi à sa localisation, car il est quasiment collé contre la rambarde de sécurité de la très passante N10 à 4 voies. Ce n'était évidemment pas dans ce paysage en total décalage avec le monument qu'il faut imaginer l'état initial du monument !

© ArchéOdyssée
Quand 2 époques et 2 paysages se confrontent : l'arrière de la tour, vue depuis la Nationale à 4 voies - © Google Street View

Mais d'abord, qu'est-ce que c'est, cette tour ? De loin, elle ressemblerait presque à un petit bâtiment agricole moderne, abandonné en bordure d'un champ. Il s'agit en fait d'une construction de l'époque romaine en béton, petits moellons et lits de briques. Son plan est presque carré à la base, d'environ 6 m de côté. On y pénètre par une arche très large, qui donne accès à une pièce unique, sans fenêtre, au plafond voûté.

© ArchéOdyssée

Qu'est-ce que c'est ? 

L'ensemble rappelle les tours-tombeaux assez classiques en Gaule romaine, comme on peut encore en admirer de nombreux cas (ce qui me fait penser qu'il faudra que je vous présente un joli circuit à faire sur ce thème, dans le Gers...). Ces bâtiments sont des mausolées prenant la forme de tours plus ou moins hautes, destinées à être vues de loin. La sépulture se trouve dessous, dedans ou à côté, selon les cas. 

Mais ce type de construction peut aussi (et surtout) correspondre à une cella, la pièce centrale d'un fanum, le type d'architecture de  temple le plus commun en Gaule. Il est composé d'une salle en forme de tour entourée d'un portique reposant sur un muret. Lorsque des vestiges en sont conservés, ce sont presque toujours ceux des tours, comme la spectaculaire Tour de Vésone, à Périgueux.

Si on ne voit que le monument actuel, dans son environnement actuel, il est difficile de choisir entre les deux hypothèses !

Une tour mausolée dotée d'une large niche : la Montjoie, Roquebrune (Gers) - © ArchéOdyssée
La restitution d'un fanum de plan standard. Ici celui de l'agglomération de Lousonna (Lausanne) © Musée romain Lausanne-Vidy,  Lousonna - Lausanne Antique

Pour trancher, il faut d'abord lire les descriptions qui en ont été faites au XIXe siècle. 

A cette époque, d'autres ruines apparaissaient encore dans les champs, en contrebas du versant. 

Cela faisait déjà pencher l'interprétation en faveur d'un fanum, car les mausolées monumentaux ne sont jamais aussi proches des habitations. 

© Germain Launay, gravure, 1864, Bibliothèque Municipale de Vendôme. 

Des fouilles réalisées dans les années 1960 ont ensuite montré que ces vestiges étaient ceux d'un bâtiment thermal

Comme il n'y a jamais de mausolée géant à proximité de thermes, cela validait l'idée qu'il s'agissait d'un fanum, mais cela soulevait aussi une autre question : quel était l'environnement du temple, où se trouvait-il ? 

Plan des thermes et photo aérienne du chantier de fouille de 1965 - © Service Régional de l'Archéologie, Photo prise par cerf-volant par Claude Colemonts.

Là encore, 3 hypothèses : soit il s'agissait du temple privé d'une villa (riche domaine agricole) dotée de thermes ; soit il s'agissait d'un petit temple dans une agglomération pourvue de thermes ; soit il s'agissait d'un temple intégré à un grand sanctuaire rural également pourvu de thermes (chose habituelle, car les ablutions faisaient partie des rituels de dévotion, comme on vous l'explique dans notre vidéo sur le sanctuaire des Bouchauds, dans notre visite du site de Chassenon, ou encore dans notre notre article "Prendre les eaux en Gaule romaine"). 

C'est aux prospections aériennes réalisées à la suite des fouilles que l’on doit la résolution du mystère. Les photos ont en effet fait apparaître les traces d’un grand sanctuaire, qui s'étendait en direction de la rivière ! Il comprenait,outre les thermes, plusieurs autres temples, des galeries et d’autres bâtiments annexes, peut-être des lieux d’accueil pour les voyageurs/pèlerins.

Photographie aérienne (retraitée) des alentours de la tour de Grisset, ici vue de haut en haut à gauche de l'image - © CDPA 41 / CPHV/ Loir et Cher, le département
Plan du sanctuaire, extrapolé depuis la lesture des photographies aériennes - © CDPA 41 / CPHV/ Loir et Cher, le département

Pourquoi y aller ? 

Parce que la tour de Grisset, ultime vestige d'un énorme site d'il y a 2 000 ans, nous permet de mesurer à quel point les paysages changent au fil des siècles ! 

Dans ce sens, les deux panneaux d'explication à côté du monument sont simples et très éloquents. Ils permettent de se représenter à la fois ce qui dort encore sous la terre autour de vous, et ce qu'il y avait autour du sanctuaire. La vallée du Loir était en effet densément peuplée et mise en culture, comme le prouve les nombreuses villae et agglomérations connues dans le secteur.