Prendre les eaux en Gaule romaine
Cures thermales, prières et guérisons
Raconté pour vous par Cécile, le 10 septembre 2022 - temps de lecture : 5 mn
Quand ? Antiquité romaine (Ier-IVe s. de n. è.) - Où ? France
Entre fin août et octobre, c’est la pleine saison des cures thermales !
Tout le monde le sait, ce n'est pas une pratique récente : un grand nombre de stations en activité de nos jours exploitent des eaux déjà utilisées pour leurs propriétés curatives dans l’Antiquité romaine.
Si les lieux sont restés les mêmes, les pratiques, elles, ont bien changées ! On prend les eaux pour se détendre, soigner des affections respiratoires ou rhumatismales ou des douleurs chroniques, mais il ne viendrait plus à l’esprit de personne d’aller y implorer la protection divine ou d’espérer y soigner une tumeur.
Et essayez donc de jeter dans la piscine une sculpture grandeur nature de la jambe qui vous fait mal, pour voir ce qu’en diraient les autres curistes et les soignants ! Vous l’avez compris : se rendre dans une station thermale, dans l’Antiquité, c’était associer médecine et religion.
Alors explorons donc un peu cette semaine ce que voulait dire prendre les eaux en Gaule romaine.
Distinguons d’abord ce dont on va parler ici des bains publics, également appelés thermes, que les habitants du monde romain adoraient fréquenter. La différence entre les deux est simple : c’est la même que celle qui distingue une station thermale d’une salle de bains. La première est dédiée au soin de certaines affections, la seconde à la propreté du corps.
1. Eaux et religion : la prière comme cure thermale
La culture romaine est souvent présentée comme technologique et pragmatique avant tout, mais c’était aussi une culture éminemment imprégnée de religiosité, de superstitions variées et de fascination pour les manifestations exceptionnelles de la Nature. C’est une tendance commune à tous les peuples de toutes les époques : ce qu’on ne comprend pas est nécessairement surnaturel, relié au monde sacré. Si on ne veut pas s’attirer les foudres de la divinité qui contrôle le phénomène étrange que l’on observe (et parfois que l’on subit, comme les épidémies, les inondations, la foudre…), il faut être très respectueux des règles et des rites. Si la force surnaturelle semble bénéfique, on peut, par des offrandes et des prières, lui demander protection.
C’est ce qui se passe avec les eaux considérées comme sacrées. Dans ce cas, ce ne sont pas à proprement parler des bâtiments de bains qui sont implantés autour des sources ou des lacs, mais bien des sanctuaires, munis de bassins, fontaines et piscines, par lesquels les fidèles pourront exprimer leur dévotion, formuler un vœu ou un remerciement, et bénéficier de la protection divine.
Les curistes ne sont donc pas des touristes en villégiatures, mais des pèlerins… qui ne sont même pas tous malades !
2. Toutes les eaux considérées comme sacrées étaient-elles vraiment thérapeutiques ?
Les vertus guérisseuses ou purificatrices des eaux de sources sont parfois tout à fait avérées : chargées en souffre, en fer, en autres oligo-éléments, ou naturellement chaudes, les eaux de nos actuelles stations thermales ont très souvent déjà été exploitées pour leurs mêmes vertus dans l’Antiquité romaine. Il y a ainsi des bains romains associés à des sanctuaires sous les bâtiments thermaux de Vichy, de Néris-les-Bains, du Mont-Dore, d’Amélie-les-Bains, Envaux-les-Bains ou Bagnères-de-Bigorre.
Dans d’autres situations, c’est une particularité de l’eau, ou l’étrangeté du lieu où jaillissait l’eau, qui conférait à l’endroit une dimension surnaturelle et justifiait de considérer l’eau comme sacrée : curiosité géologique, caractéristique de l’eau (chaude, salée, colorée, pétillante), phénomène de résurgence spectaculaire, ou sources de fleuves puissants.
De tous les cas, les qualités intrinsèques de l’eau comme l’environnement extraordinaire dans lequel elle apparaît sont les manifestations d’une puissante divinité, dont on peut essayer de s’attirer la protection.
Et dans le cas des eaux aux vertus thérapeutiques avérées (ou même supposées), c’est la protection de la santé et du corps qui est recherchée. Thérapies et religions étant étroitement liées dans l’Antiquité, ces divinités associées aux eaux médicinales étaient fort sollicitées !
Car guérir, cela voulait surtout dire prier pour son salut.
Même si la médication d’une maladie ou d’un accident passait par des remèdes tout à fait concrets, il allait de soi de se placer, de toute façon, sous le patronage d’une divinité, à laquelle on adressait un vœu de protection, puis un gage de remerciement en cas d'accomplissement du vœu.
3. Les sanctuaires des eaux, en Gaule
En Gaule romaine, les cultes liés aux vertus lustrales ou guérisseuses des eaux étaient particulièrement nombreux. Comment le sait-on ? Tout simplement parce qu’on a fouillé, en France, des dizaines de temples associés à une source ou un plan d’eau, mis en valeur dans l’enceinte des sanctuaires et aux contours parfois aménagés. C’est le cas, par exemple, du célèbre sanctuaire des sources de la Seine, où la source et les ruisseaux qui forment le début du fleuve sont intégrés à un programme monumental comprenant des bassins et des canaux alimentant des piscines.
4. Reconnaître une eau sacrée : nom de dieu et images pieuses
Mais comment les archéologues reconnaissent-ils la valeur sacrée qui était conférée à l’eau, sur un chantier ?
Après tout, une eau tout à fait « normale » pouvait aussi être amenée au plus près des sanctuaires pour alimenter des bains publics, par exemple. Dans ces situations fréquentes, l’eau n’a rien de particulier en elle-même, même si elle est importante dans les rituels. C’est le fait de se purifier aux thermes qui fait partie des étapes du parcours du pèlerin.
Alors ? La première preuve indiscutable, c'est la découverte d’une représentation sculptée ou du nom gravé d’un dieu du panthéon gréco-romain associé à la médecine : Apollon, Esculape ou Hygie, principalement. Il est courant que ces divinités soient associées sur le même sanctuaire à un dieu d’origine celtique, attaché au lieu même où se trouve le sanctuaire, et aux fonctions proches de celle du dieu romain. On retrouve ainsi Apollon Atesmertius au Mans, Apollon Maponus à Chamalières, ou encore Apollon Borvo à Bourbonne-les-Bains.
Le second élément indiscutable, c’est la découverte d’ex-votos sur le site, particulièrement abondants dans les plans d’eau eux-mêmes. Pour rappel, un ex-voto, c’est une plaque dédicatoire ou un objet, offert à une divinité pour demander une faveur ou en remerciement de l’accomplissement du vœu.
5. Ex-votos anatomiques : du réalisme au schéma
Mais les ex-votos gallo-romains sont beaucoup plus diversifiés que les ex-votos contemporains. Il y a d’abord les offrandes standardisées, que l’on retrouve sur tous les sanctuaires : monnaies, statuettes en terre blanche, céramiques et objets précieux divers. On retrouve également les inscriptions sur tablettes (de bois, de terre cuite, de pierre ou de métal) ou sur stèles, sur lesquelles sont écrits le vœu que l’on souhaite voir réaliser ou la prière de remerciement pour le vœu exaucé.
Enfin, et c’est le plus original, les dévots offraient aussi des ex-votos anatomiques, représentant l’intégralité du corps, ou la partie du corps que l’on voulait soigner.
Ces objets sont très touchants, d’abord parce qu’ils nous parlent des inquiétudes et petits bobos de chacun, il y a 2 000 ans, ensuite parce qu’il s’agit parfois de très belles sculptures, réalistes et très expressives.
Cependant, tous les organes ne sont pas représentés de la même manière. On en identifie facilement certains, d’autres sont plus étonnants…
Saurez-vous les reconnaître et deviner de quoi souffraient les Gallo-romains ? Petit quizz ci-dessous (facile au début, moins à la fin) !
Problèmes de digestion... Ces étonnants schémas représentent les organes internes du ventre : oesophage, estomac, foie (?), intestins. Celui de droite est même posé sur de petits pieds, comme s'il allait s'enfuir... Le malheureux curiste avait-il la courante ?
Ex-cursus
Ces sanctuaires des eaux sont très communs dans les Trois Gaules, mais beaucoup moins nombreux en Narbonnaise. Pourquoi ? Tout simplement parce que le réseau hydrographique (permanent) est particulièrement développé dans la zone non méditerranéenne du pays et que les contextes géologiques sont suffisamment variés pour offrir tout un panel de situations naturelles où les eaux, le lieu, ou les deux, possédaient des caractéristiques hors du commun.
Mais même s’ils sont étonnamment fréquents en Gaule tempérée, ces types de sanctuaires se retrouvent aussi en Suisse, Belgique et Italie, ainsi que dans le sud de la Grande Bretagne. L’un des plus beaux encore en élévation et encore utilisé est celui de Bath (Angleterre), établi autour de sources chaudes sulfureuses et dédié à une déesse nommée Sulis Minerva.