Bastons de bergers, chaîne des Aravis (74)

Exploré pour vous par Maxence, le 14 août 2020 - temps de lecture : 2 mn

Durée de la visite : 7h00 de marche pour les trois bornes

Borne de Passy accessible en voiture - accès libre

Les trois bornes frontières sont accessibles uniquement à pied (exemple de boucle)

Voir quoi ?

7 h de randonnée, 1000 m de dénivelé, voilà une visite dont vous vous souviendrez ! Le départ se fait depuis le hameau du Plan, à La Giettaz. Une belle boucle qui amènera à voir trois bornes romaines dans les alpages, au col de l'Avenaz, au petit Croisse Baulet et au col du Jaillet. Ces bornes sont des blocs à peine ébauchés implantés à la verticale. Deux d'entre elles portent l'inscription FINES (limite, frontière). Celle du Petit Croisse Baulet a été en partie brisée, et on suppose qu'elle comportait une même inscription.

Cette belle randonnée ne serait rien si vous n'allez pas voir une autre inscription romaine, à Passy cette fois. Mais rassurez-vous, celle-là est accessible en voiture ! Plutôt que l'originale, mal conservée et peu accessible, allez voir la copie qui a été placée dans un petit parc du hameau des Plagnes. Cette inscription a été déplacée, mais elle a également été découverte en montagne (col de la Forclaz, dans le massif qui domine la boucle de l'Arve en amont de Passy). Surtout, le texte est nettement plus développé. Il nous éclaire sur la fonction de ces bornes :

"Par l'autorité de l'Empereur Vespasien, souverain pontife, revêtu pour la cinquième fois de la puissance tribunitienne, consul pour la cinquième fois et désigné pour la sixième, Cneus Pinarus de la tribu Comélia surnommé Clemens, son légat, propréteur de l'armée de la Germanie Supérieure, entre les Viennois et les Ceutrons a fixé les limites"

Inscription dans le massif de la Chartreuse (2035 m) : délimitation du domaine d'une grande famille romaine, les Avei - Crédits : alta-via.fr

Petit et Grand Croisse Baulet - Crédits : altituderando.com

Qu'est ce que c'est ?

Si trois bornes sont visibles aujourd'hui, un plan du XVIIe s. indique qu'il en existait beaucoup d'autres, qui servaient alors encore de limite. Pour cette raison, beaucoup d'entre elles ont été enlevées et détruites par les bergers, qui voulaient pouvoir faire pâturer leurs troupeaux là où ils le souhaitaient !

On sait par l'inscription de Passy que ces bornes ont servi à délimiter la frontière entre deux provinces romaines : la Gaule Narbonnaise (cité de Vienne) et la province alpine des Alpes Gréee (les Ceutrons). Cette opération a été réalisée en 74 apr. J.-C., et pas par n'importe qui : le général en chef de l'armée de Germanie Supérieure (partie de l'empire au nord du lac Léman).

Mais pourquoi faire intervenir l'armée pour délimiter des zones de montagne ? Pour régler des heurts entre bergers, qui empiétaient sur le territoire de la province voisine, vraiment ? Le bornage était une nécessité, pour éviter des conflits sur l'usage de la terre ou des rivières. Alors évidemment, les prairies d'altitude étaient une grande ressource pour les éleveurs. Mais la montagne fournit bien d'autres richesses : pierre, minerais, bois. D'ailleurs, des inscriptions gravées dans le rocher, dans la Chartreuse (vers Grenoble) nous montrent que ces zones de montagne étaient intégrées dans le domaine de riches propriétaires : c'est bien qu'ils devaient en tirer de sacrés revenus. Et si certains ne respectaient pas les limites, ces notables pouvaient demander en haut lieu que les frontières soient clairement matérialisées !

Pourquoi y aller ?

Le circuit des trois bornes, c'est avant tout une randonnée dans des paysages magnifiques, avec les chaînes des Aravis et du Mont Blanc comme point d'orgue ! Vous pouvez aussi faire la boucle en ski, mais les bornes seront alors enfouis sous la neige !

Ce grand circuit nous rappelle aussi que ces lieux qui paraissent isolés ont été toujours été fréquentés, entretenus, cultivés et exploités depuis la Préhistoire. Les populations de montagne pouvaient ensuite échanger leurs productions (fromage, bois,miel, etc) dans les vallées et obtenir ce qu'elles n'avaient pas (vin, huile, objets en métal ou en céramique, etc). Surtout, le bornage met en lumière de vrais changements à l'époque romaine : en grande partie collectives auparavant, les zones de montagne attirent les grands propriétaires qui y voient la possibilité de diversifier leurs ressources. Des conflits avec les populations de montagne étaient inévitables, et le bornage des propriétés devenait nécessaire...