Être une épave...
(on ne parle pas des archéologues !)
Raconté pour vous par Cécile, le 25 novembre 2021 - temps de lecture : 4 mn
Quand ? de l'Antiquité au XXe siècle -
Où ? France, Italie, Égypte, Turquie, Norvège
Parmi tous les objets d’étude de l’archéologie, les épaves font partie de ceux qui font le plus rêver.
Promesse de surprise, d’évasion, d’aventure, de trésors et de drames, elles sont un concentré d’émotions !
Après la plongée (au sens propre), la semaine dernière, dans l’univers des découvertes récentes de navires archéologiques, brisons maintenant quelques idées reçues à propos de la fouille des épaves.
Petite précision : on ne parlera que des épaves… de bateaux ! Après tout, un avion ou un char au fond de l’eau, comme il y en a beaucoup datant de la 2e Guerre Mondiale, sont aussi des épaves.
1. Toujours dans l'eau ?
Comme on l’a fait remarquer la semaine dernière à propos de l’épave de la plage de Daugavgrīva (Lettonie), les épaves ne sont pas toujours retrouvées par des plongeurs.
Celle de Daugavgrīva était échouée sur le rivage et recouverte de sable, et beaucoup d’autres sont mises au jour carrément en pleine terre.
Savez-vous pourquoi ?
La première raison tient au fait que les environnements des littoraux maritimes, ainsi que les cours d’eau (dans lesquels on retrouve également de nombreux bateaux) évoluent au fil des siècles : les lits des rivières se déplacent, les courants marins rongent les plages sableuses ou les falaises tendres, ou au contraire ensablent et recouvrent d’anciens rivages. Au débouché des fleuves, les boues et sables charriés par les cours d’eau contribuent aussi à colmater des lagunes ou des rias. En quelques centaines d'années, la terre peut avoir gagné plusieurs kilomètres sur la mer.
Ces mouvements naturels sont impossibles à arrêter, même de nos jours. Les sociétés ont souvent tenté de limiter leurs effets, pour conserver des ports et mouillages avantageux, mais sans succès sur le long terme. Même les Romains ont dû abandonner aux éléments Portus, le magnifique port maritime de Rome, au débouché du Tibre, laborieusement construit et entretenu à grands frais par les empereurs entre le Ier et le IVe siècle, avant d'être abandonné au VIe siècle.
2. Des ports en pleine terre
Cela signifie donc concrètement que les ports et autres abris implantés dans ces espaces sont voués à disparaître, emportant évidemment avec eux les épaves, chargements abandonnés et maçonneries des structures portuaires.
Ces vestiges sont dispersés en pleine eau lorsqu’ils ont été rongés par les courants marins, mais ils sont fossilisés en pleine terre lorsqu’ils ont été recouverts par les sédiments maritimes ou fluviaux.
Il en résulte des sites archéologiques extraordinaires, comme le port romain de Lyon Saint-Georges, sur la Saône, le port médiéval de Yenikapı à Istanbul, sur la mer de Marmara, ou encore le port fluvial romain et médiéval de Pise, sur un bras disparu de l’Arno.
3. Des bateaux n'ayant jamais touché l'eau
Il y a une seconde raison qui fait que l’on découvre des navires hors de tout contexte lié directement des activités maritimes ou fluviales : parfois, les embarcations que l’ont retrouve n’ont tout simplement jamais touché l’eau.
C’est le cas des barques funéraires chargées d’emmener le corps et l’esprit des morts dans l’Au-delà.
On retrouve ces pratiques dans plusieurs cultures. Les somptueuses barques d’apparat de la noblesse égyptienne de l’époque pharaonique sont les plus connues, dont, bien sûr, celle de Khéops, mise au jour au pied de la Grande Pyramide.
La situation est un peu différente pour les bateaux-tombes des chefs vikings, car les navires dans lesquels ils étaient enterrés avaient vraiment navigué auparavant.
Ils étaient simplement déplacés à l’endroit où la tombe était prévue, puis enfouis sous un haut tumulus une fois la cérémonie funéraire achevée et le défunt placé sur le pont du bateau.
Les plus beaux modèles de langskips présentées dans les musées scandinaves proviennent de sites de ce type.
Explorez un site funéraire viking dans notre visite virtuelle consacrée aux palais et au bateau-tombe de Gjellestadt.
Ces bateaux n'ayant jamais touché l'eau ne sont cependant pas exactement des épaves...
4. Des trésors partout ! Qu'étudie-t-on sur une épave ?
Bateaux-tombes, épaves de navires marchands, de navires de guerre, mais aussi bacs de transports, bateaux-dragues, bateaux de pêche… les types d’embarcations sont extrêmement nombreux, avec pour chacun des architectures et des usages particuliers.
Alors finalement, qu’étudie-t-on finalement, quand on trouve une épave, qu’elle soit en pleine eau ou en pleine terre ?
On peut résumer les principales études menées sur les épaves en 4 catégories.
Les deux plus évidentes sont l’architecture du navire et son chargement, qu’on associe souvent à des trésors. C’est naturellement un peu différent, notamment parce qu’il n’y a pas de chargement dans tous les bateaux !
On s’intéresse en fait plus largement à l’ensemble des objets utilisés par les marins à bord : outillage et instruments techniques, mais aussi objets de la vie quotidienne (vaisselle, réserves de vivres, articles pour la toilette, effets personnels (bijoux, instruments de musique…).
Ces éléments permettent de comprendre comment vivaient les marins, d’évaluer leur nombre et également de dater l’épave.
L’architecture du bateau renseigne sur l’usage qui en était fait, ainsi que sur l’évolution des techniques de construction.
Peu connue du grand public, la technique commune pour les bateaux méditerranéens de la Protohistoire et jusqu’à l’Antiquité était d’assembler la coque par points de couture, et non en utilisant des clous. Cette pratique étonnante à nos yeux est en fait très efficace, et surtout la seule à avoir pu être mise en œuvre avant l’invention de la métallurgie !
Les incroyables navires de guerre égyptiens et la célèbre barque funéraire de Khéops sont ainsi des bateaux à coque cousue, ou ligaturée. C'est une technique traditionnelle encore utilisée dans plusieurs régions du monde, et qui était également bien diffusée en Europe au Moyen Âge.
L’étude des chargements des navires de commerce, en plus de l'analyse de l’architecture des bateaux, parfois très spécifique à certaines cultures, donne des informations précieuses sur la provenance générale des navires.
L’emplacement des épaves, si elles ont été trouvées en pleine eau, donne aussi une bonne information sur les routes commerciales suivies à différentes époques.
Cela permet de restituer des circuits économiques parfois très vastes, d’une mer à l’autre, d’un continent à l’autre.
Enfin, on s’interroge aussi sur les conditions, naturelles ou non, qui ont conduit le bateau que l’on fouille à couler.
On peut ainsi identifier des zones de hauts-fonds mouvants, restituer de furieuses tempêtes ou des crues dévastatrices.
Mais on découvre aussi que des bateaux ont sombré à la suite d’une attaque, ou encore qu’ils ont été abandonnés sur un rivage ou au fond d’un bassin portuaire.
Dans les ports, certains vieux navires ont également servis de matériaux de construction. Les planches et le mât pouvaient servir à refaire des quais.
D'autres étaient remplis de blocs après avoir été démâtés, puis coulés pour servir de fondation à des môles ou des quais, comme dans le cas de l'épave Mandirac 1 (port fluvio-lagunaire antique de Narbonne).
La semaine prochaine, vous saurez tout sur les moyens techniques nécessaires pour explorer et fouiller une épave !