Oh my Gods !
Totates, Limetus et Mars Mullo :
dévotion populaire et dieux gallo-romains
Raconté pour vous par Maxence, le 14 décembre 2021 - temps de lecture : 2 mn
Quand ? époque romaine
Où ? France
A l’époque romaine, quand il faut rendre hommage à un dieu, comment fait le quidam qui n’a pas les moyens de faire graver une splendide inscription par un artisan ou d’acheter un ex voto en or ou en argent ? Il écrit sur les murs, ou il grave ce qu’il a sous la main !
Et curieusement, cette pratique n’est pas si représentée que ça par les découvertes archéologiques. D’abord parce qu’elle demande, a minima, de savoir écrire. Mais aussi parce que les supports utilisés, plus petits et plus fragiles (le bois par exemple), ont moins bien traversé les âges.
L’un des lieux les mieux connus où sont illustrées ces pratiques du quotidien est le sanctuaire de Châteauneuf (Savoie), situé sur un axe très fréquenté (l’un des principaux reliant les Gaules à l’Italie).
Ce sanctuaire, qui fait partie intégrante d’une agglomération (dont on connaît un théâtre et des habitations), est constitué d’un temple (fanum) divisé en deux chapelles (cellae). Ces dernières étaient le lieu réservée aux dieux, où seuls les prêtres avaient accès. Pour cette raison, les cultes se déroulaient en périphérie. C’est là qu’on dépose des offrandes, qu’on fait des repas ou qu’on jette des pièces de monnaies.
Pour en savoir plus sur les sanctuaires gallo-romains, voir nos
2 vidéos consacrées au site des Bouchauds.
Qui fréquentait ce sanctuaire ? Sans doute les populations locales, mais aussi les voyageurs, civils ou militaires, qui empruntaient cette grande voie transalpine, et qui demandaient la protection des dieux ou les remerciaient pour avoir franchi les Alpes sans encombre !
C’est là également qu’on retrouve les témoignages écrits qui traduisent les vœux adressés aux dieux. Et à Châteauneuf, ce sont 70 graffiti, gravés en écriture cursive sur les enduits muraux extérieurs, qui ont été retrouvés ! S’y ajoutent 18 graffiti gravés sur des tuiles.
On peut ainsi imaginer les dévots et les voyageurs, dans leur parcours autour des chapelles, graver un vœu ou un remerciement en l'honneur du dieu, sur les murs extérieurs, ou sur un fragment de tuile déposé le long d'un mur ou dans la galerie.
Qu’il s’agisse de quelques mots ou de textes développés, ils révèlent les divinités honorées dans ce sanctuaire : Limetus d’abord, divinité locale ensuite supplantée par Mercure et Maïa (déesse de la fertilité et du printemps). L’adoption progressive de pratiques typiquement romaines est rappelée par l’apparition du culte à Rome et Auguste. Ce culte impérial n’est sans doute pas issu de la volonté des fidèles : il a été implanté officiellement, peut-être dans le cadre de cérémonies qui associaient cultes et spectacles (dans le théâtre voisin).
On retrouve une même association sanctuaire-agglomération à Beauclair (Puy-de-Dôme), où cette fois, ce sont six graffiti sur des fragments de céramique et sur un vase qui ont été découverts.
Tous sont des dédicaces assez brèves à un dieu que la bande dessinée nous a fait connaitre : Totates (Toutatis) ! Cette divinité gauloise est sans doute associée à Mars ou à Mercure, mais on l’ignore, faute de textes plus complets.
Mars que l’on connaît sous sa forme gallo-romaine (Mars Mullo), sur les rares autres graffiti connus : l’un sur un vase au Marillais (Maine-et-Loire), dans un contexte inconnu, où Mullo est associé aux empereurs, l’autre sur une fresque murale du sanctuaire des Provenchères (Mayenne).
Ces témoignages rares et dispersés sont moins spectaculaires que les grandes inscriptions des notables ou que les offrandes coûteuses retrouvées dans les sanctuaires.
Ces graffitis sont les marqueurs d’une dévotion populaire, qui se traduit à la fois par des supports peu coûteux ou improvisés, et une maîtrise de la langue latine parfois approximative.
Elles sont le miroir des cultes du quotidien, encore marqués par la tradition (les divinités et les pratiques d’avant la Conquête par Rome), mais qui intègrent aussi nouveaux dieux et nouvelles habitudes typiquement romaines.
Références
Clémençon Bernard, Ganne Pierre M. Toutatis chez les Arvernes : les graffiti à Totates du bourg routier antique de Beauclair (communes de Giat et de Voingt, Puy-de-Dôme). In: Gallia, tome 66, fascicule 2, 2009. Archéologie de la France antique. pp. 153-169.
Mermet Christian. Le sanctuaire gallo-romain de Châteauneuf (Savoie). In: Gallia, tome 50, 1993. pp. 95-138
François Bérard, Olivier Gabory, Martial Monteil, Christian Le Boulaire et Yves Saget, « Une nouvelle mention du dieu Mars Mullo : un graffite sur vase à Notre-Dame-du-Marillais (Le Marillais, Maine-et-Loire) », Revue archéologique de l'Ouest, 25 | 2008, 261-268