Complètement has been !

Raconté pour vous par Cécile, le 20 mai 2020 - temps de lecture : 3 mn

Crédit photographique : N. Naudinot ; dessin : C. Bourdier, INRAPLa plaquette de grès mesure 25 cm de long, 18 cm de large pour environ 3 cm d’épaisseur, et porte les traces d’une cassure nette, qui a emporté la tête de 3 animaux, peut-être intentionnellement.

Angoulême :

les artistes aziliens n’étaient pas à la page


Vous imaginez-vous décorer votre salon de fresques de l’époque romaine ?

La découverte de très belles gravures de chevaux et d’aurochs dans un camp de chasseurs-cueilleurs d’il y a 12 000 ans jette le trouble :

ce groupe était en retard de plus de 2 000 ans sur ses voisins, qui ne représentaient plus ce genre de scènes depuis des millénaires.

Où ? Angoulême (Charente), chantier de réaménagement de la gare - Quand ? Novembre 2018

Par qui ? INRAP –Archéologue, responsable d’opération : Miguel Biard

De l’art figuratif à l’art abstrait

Depuis l’apparition de l’art pariétal en Europe, il y a environ 40 000 ans, les hommes représentaient les animaux qui les entouraient : chevaux, bisons, aurochs, félins et rhinocéros sont les plus connus.

Il y a 12 000 ans, ces sujets sont complètement abandonnés au profit de motifs géométriques, plus volontiers appliqués sur des galets et plaquettes transportables que sur des parois.

Relevé de la face A de la plaquette gravée et vue de détail des pattes antérieures d’un cheval.
Relevé : Valérie Feruglio, INRAP
Crédit photographique : Denis Gliksman, INRAP
Quelques exemples de galets peints de la grotte du Mas d’Azil, qui a donné son nom à la période de l’Azilien, à la fin du Paléolithique supérieur (collection Edouard Piette, Musée des Antiquités Nationales) Crédit photographique : RMNGP / MAN

On parle alors de style Azilien, à distinguer du style Madgalénien de la période précédente.

Les populations d’une grande partie de l’Europe (Grande-Bretagne, France, Espagne, Portugal, Pologne) vivaient donc il y a 12 000 ans suivant l’organisation sociale et les codes de la culture dite « azilienne ».

Résister à la mode

La communauté azilienne d’Angoulême n’était pas la seule à avoir résisté aux nouvelles tendances.

Ainsi dans le Finistère, le site du Rocher de l’Impératrice a révélé en 2017 des gravures très similaires datées d’il y a 14 000 ans, d’un groupe de population azilien resté fidèle au style naturaliste, qui commence progressivement à être abandonné à cette époque de transition.

Elles témoignent d’une persistance tardive de certains aspects de la culture magdalénienne, mais le groupe d’Angoulême, de 2000 ans plus jeune, était, lui vraiment très en retard !

Crédits photographiques : INRAP – Cliché : Nicolas Naudinot ; Relevés : Camille Bourdier.
Crédits photographiques : INRAP – Cliché : Nicolas Naudinot ; Relevés : Camille Bourdier.
Deux des pierres gravées du site du Rocher de l’Impératrice (Plougastel-Daoulas), représentant un cheval, avec son pelage bien marqué, et une tête d’auroch entourée d’un halo de traits, comme sur la plaquette d’Angoulême.

Le + ArchéOdyssée

Cliquez pour voir les lieux cités dans l'article sur notre carte

Quatre autres sites de l’Azilien, eux aussi plus anciens, ont livré des représentations figuratives gravées sur des supports mobiles : l’abri sous roche de Murat (Lot), le gisement du Closeau (Hauts-de-Seine), celui de Bois-Ragot (Vienne) et celui de Pincevent – niveau III20 (Seine-et-Marne).

Les habitants du camp d’Angoulême sont cependant ceux qui sont restés le plus longtemps fidèles aux anciennes traditions.

Gravure d’un capriné sur un galet, de l’abri sous roche de Murat (Rocamadour).Source : Lemozi 1924, p.25.
Une omoplate gravée de profils animaliers de la grotte de Bois-Ragot (Gouex). Relevé : Jean Airvaux.Source : Chollet, Dujardin 2005, p. 283.

Question de design

La grande originalité des gravures d’Angoulême est qu’elles témoignent d’une transition progressive et tardive entre deux styles esthétiques et techniques.

Une question reste : pourquoi art figuratif et art abstrait n’ont-ils pas continué à coexister plus tard durant l’Azilien ?

Après tout, l’émergence de l’art abstrait au XXe s. n’a pas fait disparaître l’art figuratif. En outre, ni la technique de peinture ni les motifs utilisés à l’Azilien ne sont des inventions : les hommes de l’Aurignacien et du Gravettien (entre 40 000 et 20 000 ans) peignaient déjà des formes géométriques à l’ocre (par exemple dans la grotte Chauvet, celle de Pech Merle ou celle de Niaux).

On n’assiste donc pas à un engouement pour une nouvelle esthétique.

Question d'art sacré ...

Il faut par conséquent trouver une autre explication à l’abandon définitif de l’art figuratif et des représentations d’animaux. Une hypothèse est que ces deux formes successives de styles artistiques étaient liées à des pratiques sacrées ou religieuses qui ont évolué puis disparu.

et de réchauffement climatique.

Peut-il y avoir un lien avec les importants changements climatiques que l’Europe a connu entre la fin du Madgalénien et l’Azilien ? Cette période correspond en effet à la fin de la dernière grande période glaciaire.

Le réchauffement climatique a entraîné des changements majeurs des environnements, modifiant la faune et la flore. L’ensemble a fait évoluer les comportements humains, sans doute leurs représentations mystiques et philosophiques, et in fine leurs symboles et conceptions esthétiques.

A voir sur notre carte

les sites archéologiques cités dans le texte, avec leurs notices explicatives

Parmi tout ce qu'il y a à voir autour d'Angoulême, nous vous présentons :

  • La porte Bannier : l'une des entrée de la partie de l'enceinte de la ville construite au XIIIe s.

  • La tour Sainte-Croix : l'une des tours du rempart du IVe.

  • Une portion de la courtine du rempart du IVe s., rue de la Tour Neuve

... et une petite sélection d'autres sites fouillés (mais non visitables)

Les ressources à votre disposition

Revue de presse :


Article du Monde (05 juin 2019) :https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/06/05/des-gravures-prehistoriques-exceptionnelles-decouvertes-a-angouleme_5471959_1650684.html
Article (détaillé) du site Hominidés.com :https://www.hominides.com/html/actualites/plaquette-gravee-cheval-angouleme-12000-ans-1361.php
Deux articles de l’INRAP :- Sur le site archéologique dans son ensemble : https://www.inrap.fr/des-chasseurs-collecteurs-de-la-fin-du-paleolithique-sous-la-ville-d-angouleme-13975- Sur les plaquettes gravées : https://www.inrap.fr/les-chasseurs-collecteurs-de-la-fin-du-paleolithique-dessinaient-deja-angouleme-14382
A propos du site archéologique du Rocher de l’Impératrice :- Présentation sur le magazine du département du Finistère : https://www.finistere.fr/Actualites/Archeologie.-Le-Rocher-de-l-Imperatrice-un-site-exceptionnel- Article détaillé du site Hominidés.com : https://www.hominides.com/html/actualites/plaquettes-gravees-plougastel-daoulas-14000-ans-1118.php- Article de Paris Match : https://www.parismatch.com/Culture/Art/Les-tablettes-de-Plougastel-le-biscuit-des-archeologues-1326365

Pour les acharnés !


▪ Quelques articles sur les autres sites où des gravures figuratives ont été trouvées dans des contextes de l’Azilien :- Lemozi (abbé) 1924 : Fouilles dans l’abri sous roche de Murat, commune de Rocamadour (Lot), Bulletin de la Société préhistorique de France, 21- 1, 1924, p. 17-58. En ligne- Bodu P., Un gisement à Federmesser sur les bords de la Seine ; le "Closeau" à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), Bulletin de la Société préhistorique française, 92-4,1995, p. 451-456. En ligne- Chollet A., Dujardin V. 2005 : La grotte du Bois-Ragot à Gouex (Vienne). Magdalénien et Azilien. Essai sur les Hommes et leur environnement, Paris, Société préhistorique française, mémoire XXXVIII, 2005, 407 p. Téléchargeable- Naudinot N. et al. 2019 : Les dernières sociétés du Tardiglaciaire et des tout débuts de l’Holocène en France. Bilan d’une trentaine d’années de recherche. Gallia Préhistoire, 59, 2019, p. 5-45. ® à propos de Pincevent III20, voir p. 17. En ligne
La publication scientifique (en anglais) des gravures de Plougastel-Daoulas : Naudinot N., Bourdier C., Laforge M., Paris C., Bellot-Gurlet L., Beyries S., et al. (2017) : Divergence in the evolution of Paleolithic symbolic and technological systems: The shining bull and engraved tablets of Rocher de l'Impératrice, PLoSONE, 12(3), 2017. En ligne.