Merci de ramasser vos déchets

Raconté pour vous par Cécile, le 14 juin 2020 - temps de lecture : 4 mn

Une quenouille viking, datée du XIe s., à côté de la plaque de glace encore existante.Crédit photographique : Espen Finstad, Secretsoftheice.com

Les bas-côtés des routes vikings étaient de vraies poubelles

Le réchauffement climatique a des répercussions inattendues en archéologie : en Norvège, en haut de la crête de Lomseggen, la fonte de l’énorme plaque de glace de Lendbreen a ainsi remis au jour une route utilisée depuis le IIIe s.apr. J.-C. jusqu’à la fin du Moyen Âge.

Les bas-côtés étaient jonchés d’ordures, pour le plus grand plaisir des archéologues.

Où ? Norvège, comté d’Oppland, crête de Lomseggen, névé de Lendbreen. Quand ? tous les étés depuis 2011

Par qui ? L’équipe de Lars Pilø, du Department of Cultural Heritage, Innland County Council (Norvège)

Un monceau d’objets de la vie quotidienne, le long d’une passe de haute montagne

Depuis 2011, chaque été, les archéologues profitent de la fonte d’un vaste névé pour prospecter la roche mise à nu. Sur les pentes, dans les fissures et les rochers, ils récupèrent tout ce que les voyageurs ont perdu ou jeté. Des centaines d’objets ont été collectés, parmi lesquels des quenouilles en bois, un javelot avec sa lame en métal, une chaussure en cuir à lacet, des tissus très bien préservés, dont une tunique complète et un morceau d’étoffe en laine d’un bleu très vif… et même du crottin de cheval.

Une chaussure en cuir du XIe s., maintenue autour du pied par un lacet.Crédit photographique : secretsoftheice.com
Un fragment de laine bleue tissée du Xe s.Crédit photographique : secretsoftheice.com

Ces objets proviennent d’un dépotoir accumulé dans la pente en contrebas de la voie. Celle-ci était balisée de cairns, exactement comme on le fait encore de nos jours en montagne, ce qui permettait de repérer l’itinéraire dans cet environnement dangereux, pentu et glissant.

Ces éléments datent d’une période comprise entre 300 apr. J.-C. et 1500/1700, mais la majorité d’entre eux remonte à la période viking, c'est-à-dire aux Xe-XIe s.

Crédit photographique : secretsoftheice.com
Crédit photographique : Vegard Vike, Museum of Cultural History / secretsoftheice.com
Deux outils vikings en bois et métal : un petit couteau du XIe s. et un javelot des IXe-Xe s.

Le + ArchéOdyssée

Un réchauffement climatique au cours du Moyen Âge ?

Si la voie était dégagée à l’époque viking, cela signifie-t-il que le climat était plus chaud qu’on ne l’imagine ?

Oui, car cette période (Xe-XIII/XIVe s.) correspond à l’optimum climatique médiéval, durant lequel les températures étaient globalement proches de celles du XXe s.

Il est toutefois certain que la passe était fréquentée lorsqu’elle était enneigée, puisque l’on a retrouvé une luge et une raquette pour cheval.



Une raquette pour cheval, fixée sous le sabot, utilisée pour faciliter la marche des animaux sur d’épaisses couches de neige.Crédit photographique : Espen Finstad, secretsoftheice.com

L’archéologie glaciaire, à la découverte des routes de haute montagne


Des découvertes archéologiques de ce type se multiplient dans toutes les régions de haute montagne, où les effets du réchauffement climatique sont très marqués. C’est déjà ainsi qu’a été découvert en 1991 le célèbre Ötzi, dans les Alpes autrichiennes, au col du Hauslabjoch, à 3210 m d’altitude.

En Suisse, entre le glacier du Wildhorn et le col du Schnidejoch, à 2800 m d’altitude, des séries d’objets similaires à ceux de Lendbreen ont été mis au jour. Ils datent de certaines périodes correspondant aux autres phases de réchauffement climatique durant lesquelles la passe était accessible : au Moyen Âge (XIII-XVe s.), à l’époque romaine (entre le Ier et le IIIe s.), à l’âge du Bronze ancien (2000-1700 av. J.-C.), enfin au Néolithique final (2900-2600 av. J.-C).

Les bouleversements climatiques s’accentuant, l’archéologie des zones glaciaires va prendre de l’importance dans un futur proche, ouvrant le champ des recherches sur l’occupation des latitudes polaires et de la très haute montagne.

Crédit photographique : Espen Finstad, secretsoftheice.com
Crédit photographique : Espen Finstad, secretsoftheice.com

Pour les archéologues, les conditions de travail en archéologie glaciaire sont également extrêmes : voyez au-dessus à gauche, les opérations de prospection à Lendbreen, en août 2019 ; à droite le camp de base, en août 2013.

Les ressources à votre disposition




Site internet officiel
Celui de l’équipe de recherche norvégienne de Lars Pilø, « Secrets of the Ices » (en anglais) : https://secretsoftheice.com/

Revue de presse




Sur les découvertes suisses
Un article du magazine « Pour la Science », n° 348, octobre 2006 : https://www.pourlascience.fr/sd/archeologie/le-chasseur-neolithique-du-col-du-schnidejoch-970.php

Pour les plus acharnés !
Un article scientifique (en anglais) sur les découvertes de Lendbreen :Pilø, L., Finstad, E., & Barrett, J. (2020). Crossing the ice: An Iron Age to medieval mountain pass at Lendbreen, Norway. Antiquity,94 (374), 437-454. https://doi.org/10.15184/aqy.2020.2