"Engagez-vous, qu'ils disaient !"

Raconté pour vous par Cécile, le 28 juin 2020 - temps de lecture : 3 mn

Derrière la découverte exceptionnelle d’une dague romaine


Une superbe dague, son étui et sa ceinture ont été découverts dans la nécropole du camp romain d’Aliso, en Allemagne, sur ce sur ce qui a été la frontière entre l’Empire romain et la Germanie libre, au début du Ier s. apr. J.-C.

Maintenant restaurés, ces objets dévoilent leur splendeur et racontent l’histoire tragique d’une conquête ratée : la présence romaine à l’est du Rhin n’a en effet duré que 21 ans.




La dague dans son fourreau, après restauration.Crédits photographiques : LWL – photo C. Steimer
Crédits photographiques : LWL – restitution ElifSiebenpfeiffer

Où ? Haltern am See (Allemagne, Rhénanie du Nord-Westphalie) – Quand ? Printemps 2019 –

Par qui ? Le Landschaftsverband Westfalen-Lippe et l’université de Trèves

Ce long poignard (le pugio), est beaucoup plus court que le glaive règlementaire (35 cm contre environ 60 cm). C’est l’arme des combats rapprochés, à utiliser en dernière extrémité lors des corps à corps.

Tous les militaires portaient le pugio, du simple soldat à l’empereur en personne. Tous ne pouvaient toutefois pas s’offrir un exemplaire aussi ouvragé que celui-ci. Il appartenait sans doute à un officier, peut-être un centurion.

Les fils et les très minces feuilles d’argent qui composent la décoration du fourreau et du manche du pugio sont incrustés dans de fines rainures gravées au préalable dans le bois, selon la technique du damasquinage.Crédits : LWL – photo Eugen Müsch

La dague d’Aliso est en effet un objet d’une grande finesse. Sa mince lame en acier est décorée de longues rainures. La poignée et la gaine sont incrustées de fils d’argent et de rivets en émail rouge. La gaine était suspendue à une ceinture en cuir sur laquelle des plaques décoratives en bronze étaient cousues. Petite coquetterie : les plaques étaient recouvertes d’étain, de manière à faire croire qu’elles étaient en argent.

Pour obtenir cet impressionnant résultat, il a fallu dégager les objets d’une épaisse gangue de rouille.Crédits : LWL – photo Eugen Müsch (objet restauré) et LWL – photo Josef Mühlenbrock (photo de terrain)

Le + ArchéOdyssée

Aliso, camp éphémère :

le témoignage d’une conquête avortée


Quand l’empereur Auguste décide d’envahir la Germanie libre, en 12 av. J.-C., il fait édifier pour ses légions des séries de camps militaires à l’Est du Rhin, d’où sont supervisés la conquête et le contrôle des nouveaux territoires.

Aliso est ainsi construit le long de la Lippe, pour les 5000 soldats de la XIXe légion.

Hélas, les techniques militaires romaines sont mises à mal par le terrain, la dispersion des habitants et leur organisation politique compliquée. Les Romains ne progressent pas. Le glas est sonné quand l’un des officiers les plus influents du gouverneur Varus, Arminius, qui est d’origine germaine, se retourne contre lui et prend la tête des groupes armés germains, en 9 apr. J.-C.

Dans la forêt de Teutoburg, il tend une embuscade à Varus, qui se suicide. Les tribus germaines fédérées attaquent tous les camps militaires romains et forcent les survivants à fuir en repassant le Rhin. C’est le « désastre de Varus », qui marque l’échec de l’extension de l’empire vers l’Est. C’est un événement très choquant pour les Romains, un peu l’équivalent de la Bérézina dans l’histoire de France.

Précision biographique

Arminius était le fils du seigneur Sigimer, de la tribu des Chérusques. Probablement pris en otage durant son enfance et élevé dans la haute noblesse de Rome, il avait la nationalité romaine et le rang de chevalier. C’était un officier militaire qui avait déjà servi plusieurs années dans les armées de Tibère, avant de se retourner contre Varus. C’est un héros très populaire en Allemagne, comparable à Vercingétorix pour les Français.

Aliso est l’un des derniers forts à avoir résisté aux assauts répétés des Germains. Assiégé et attaqué pendant des semaines, ce qui reste de la XIXe légion parvient finalement à quitter le camp, après avoir observé les mouvements de l’ennemi et défini le meilleur moment pour opérer une sortie.

Les armes à la main, les soldats et leur général réussissent à percer les lignes adverses et à rejoindre les territoires sous contrôle romain. Malheureusement pour lui, et heureusement pour nous, le propriétaire de la dague était déjà mort lors de cette retraite…

Fait très rare, ce qui s’est passé à Aliso est raconté par un historien romain qui a vécu les événements de Germanie en tant qu’officier de cavalerie, Velleius Paterculus.

Plus jamais les Romains n’essaieront de conquérir les territoires de l’Est du Rhin. Dans les siècles suivants, ils s’occuperont avant tout de fortifier et renforcer la bande frontalière (le limes) de part et d’autre du fleuve. Environ 75 camps, plus pérennes que celui d’Aliso, seront construits sur le limes rhénan. Certains se développeront en très grandes villes, comme Strasbourg ou Mayence.

A voir sur notre carte

Deux sites archéologiques à visiter pour vous donner une bonne idée de ce qu'étaient les camps du limes de Germanie.

Ils ont été reconstitués sur les vestiges antiques, une pratique très peu répandue en France, où l'on préfère montrer les sites archéologiques stabilisés dans leur état actuel de ruines :

Les ressources à votre disposition

Revue de presse
Communiqué de presse du LWL (14/02/2020)https://www.lwl.org/pressemitteilungen/nr_mitteilung.php?urlID=50188&fbclid=IwAR1VyxtMsuenLpMDrDONvgqmekFDwTbWKlxpvjVR4i4it21y7u0K0RNYMhQ
The Times (18/02/2020)https://www.thetimes.co.uk/article/legionarys-ancient-dagger-glistens-again-bt5n5vrb7
Magazine Géo (02/03/2020)https://www.geo.fr/histoire/des-archeologues-restaurent-une-dague-romaine-vieille-de-2000-ans-en-allemagne-200110
Smithonian Museum (02/03/2020)https://www.smithsonianmag.com/smart-news/archaeology-intern-unearths-spectacular-2000-year-old-roman-dagger-180974310/
LiveScience (27/02/2020)https://www.livescience.com/roman-iron-dagger-sheath.html

Une vidéo – la restauration de la dague :https://www.youtube.com/watch?v=6SyckGeKDlQ&feature=youtu.be

Pour les plus acharnés !
Lisez (en français), dans le livre II de son Histoire Romaine, la description que donne Velleius Paterculus du désastre de Varus (paragraphes CXVII-CXVIII-CXIX) et de la résistance d’Aliso (paragraphes CXX) : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/velleius/livre2.htm