Quand les Anciens faisaient le pont
Les plus vieux ponts du monde
Raconté pour vous par Cécile, le 30 avril 2022 - temps de lecture : 3 mn
Quand ? Temps mythologiques, Néolithique, Antiquité, Moyen Âge
Où ? Inde, Sri Lanka, Grande-Bretagne, Grèce, Turquie, France, Espagne, Chine
Institutions en France, les « ponts » des mois de mai et juin permettent à beaucoup de profiter de fins de semaine prolongées bienvenues pour ceux qui n’ont pas de congés entre Noël et le mois d’août. Hélas, cette année (comme tous les 7 ans), les 01 et 08 mais tombent un dimanche, mauvaise pioche !
Chez ArchéOdyssée, nous prenons toutefois le problème des ponts à bras le corps : pour distraire vos dimanches de mai, voici notre Top 5 des plus vieux ponts du monde, dont certains sont encore en fonction !
1. Fake archéologique, ou réalité géologique ?
L'histoire du "pont d'Adam", entre l'Inde et le Sri Lanka, ne laisse pas de faire couler de l'encre ! Serait-ce le plus vieux pont du monde ? La pointe sud de l’Inde et l’île du Sri Lanka sont en effet séparées par un détroit de 30 km, ponctué d’îles minuscules formant un archipel serré qui s’étire entre les deux États.
La partie la plus fine de l'archipel s'appelle le Ram Setu. Appelé aussi Adam Bridge par les Britanniques, ce cordon d’îles est composé de rochers et bancs de sables immergés très rapprochés, ce qui évoque les piles englouties d'un pont. De fait, c'est en fait presque un pont naturel : à marée haute, en effet, la hauteur d’eau sur les plus hauts-fonds ne dépasse pas 1,2 m. Des archives historiques indiennes mentionnent d’ailleurs que le passage à pied était possible jusqu’à la fin du XVe s.
Cette situation extraordinaire n’a pas manqué d’intriguer les Hommes. Ainsi, dans le cycle mythologique indien du Rāmāyana, le Ram Setu est ce qu’il reste d’un pont jeté sur le détroit de Palk par le dieu Rāmā, pour aller sauver sa bien-aimée, Sītā, retenue prisonnière au Sri Lanka.
Certains amateurs de mystères pensent également que le pont a été construit il y a des millions d’années, par une civilisation inconnue à la technologie avancée.
La réalité est un peut-être un peu moins poétique : le Pont d’Adam est une formation naturelle, composée, entre autre de récifs coralliens, âgés plusieurs milliers d’années.
La question reste cependant sensible en Inde, car le Ram Setu demeure un lieu sacré.
2. Tarr Steps, la chaussée mégalithique
Là, pas de doute : voici un pont assurément construit de main d’homme ! Dans le sud-ouest de l’Angleterre, le Tarr Steps est un magnifique pont de dalles monumentales de granite, de 55 m de long, qui permet toujours aux piétons de franchir la peu profonde rivière Barle.
© Stefan Kühn / CC BY-SA
A cause de son mode de construction, il est communément rapproché des mégalithes préhistoriques, et ainsi daté du Néolithique. Les Hommes qui l’auraient construit seraient donc les mêmes que ceux qui édifiaient dolmens et menhirs, il y a entre 7 000 et 4 000 ans.
Il faut être honnête, en fait, on n’en sait rien du tout, car on ne peut pas dater de la pierre, et le pont n’a jamais été démonté pour voir si des vestiges datant se trouveraient par hasard dessous. L’hypothèse néolithique est toutefois plausible.
© Ethan Doyle White / CC BY-SA
On notera que des constructions très semblables existent dans de nombreux départements français… Chez nous toutefois, ces ponts sont le plus souvent rattachés au Moyen Âge.
3. Aussi résistant que trapu : le pont de Kazarma
Enfin un pont bien daté ! Il s’agit aussi du plus vieil ouvrage d'art du continent européen : c’est le pont grec de Kazarma (Argolide), sur la rivière Havos, toujours en usage depuis quelques 3 300 ans ! Il soutenait la voie antique reliant les cités antiques de Mycènes et d’Epidaure et a été construit à l’époque mycénienne, vers 1 300 av. n. è.
Son architecture cyclopéenne spectaculaire, faite de blocs non taillés empilés sans mortier, ainsi que son arche étroite en V inversé, sont typiques de cette période.
L'armée du roi légendaire Agamemnon a peut-être foulé du pied ce pont en partant de Mycènes pour la guerre de Troie, qui sait ?
A proximité de Kazarma, deux autres ponts similaires soutiennent le passage de la même voie antique, qui est devenu un chemin rural.
La route moderne s’est déplacé de quelques centaines de mètres.
4. Un travail de Romains
Le génie technique des Romains n’est plus à prouver ! Si bien qu’il devient difficile de choisir quoi vous présenter parmi les extraordinaires ponts d’époque romaine toujours en élévation malgré leurs 2 000 ans ! Au fil des siècles, les ingénieurs et architectes romains ont rivalisé d’ingéniosité et de prouesse technique pour construire des ouvrages d’art aussi beaux esthétiquement que remarquables sur le plan architectonique. Et des ponts, ils en ont construit des milliers, pour porter les routes, mais aussi les aqueducs acheminant l’eau dont ils faisaient si grande consommation.
Alors n’ayons pas peur des superlatifs et montrons le plus célèbre, le plus long, le plus haut et le plus beau, pour la plupart utilisés en continu depuis l’époque de leur construction, même si, comme dans le cas du célébrissime Pont du Gard, leur fonction s’est modifiée.
Le plus célèbre : sans aucun doute le Pont du Gard, construit au début du Ier s. de n. è. Paradoxe étant donné sa taille (214 m de long, 49 m de haut), il n’a pas été construit pour être vu !
Car ce n’est pas un pont routier, mais le "simple" support d'une conduite d'eau, et il ne longeait ni ne traversait aucune agglomération ou voie passante.
Ce n’est en effet que l’un des ouvrages d'art qui ponctue les quelques 50 km du tracé de l’aqueduc de Nîmes.
L’art pour l’art, en somme ! Ce n'est qu'au XVIIIe s. qu'une chaussée carrossable a été installée au niveau du 1er étage des voûtes.
Le plus haut : le pont aqueduc d’Alcántara (Cacéres, Espagne, début du IIe s., 195 m de long).
Vu de loin, il ne paraît pas spécialement haut... mais il faut être dessus et contempler le Tage, 52 m au-dessous, pour mesurer l’ampleur du travail !
Les deux arches centrales sont aussi les plus larges du monde romain, avec 27 et 28,8 m d'ouverture.
La prouesse de l’architecte, Caius Julius Lacer, est toujours vantée sur la dédicace d’un petit temple situé à l’une des entrées du pont.
Le plus long : toujours en Espagne, c’est l'incroyable pont qui enjambe le Guadiana, et aboutit à l’entrée monumentale de la colonie de Mérida. Construit à la fin du Ier s. av. n. è., il est long de 800 m et muni de puissants contreforts destinés à fendre le courant !
Le plus charmant ? Peut-être le petit "pont Flavien" de Saint-Chamas (Bouches-du-Rhône), sur la voie antique entre Arles et Marseille.
C'est vrai, il est court (21 m de long, 6 de haut) et n'a rien de remarquable du point de vue technique.
Mais n’est-il pas délicat et harmonieux, avec ses deux arcs sculptés ornés de statues de lions ?
Deux inscriptions font savoir qu’il a été offert par un particulier : Claudius Donnius Flavus, et édifié par C. Donnius Vena et de C. Attius Rufus.
5. Le plus vieux pont de Chine, toujours aussi moderne !
Certes, le pont Anji, dit aussi pont de Zhaozhou, dans le Hebei, est un peu plus récent que les autres : il a été construit entre 595 et 605 de n. è. et est, lui aussi, toujours en fonction !
Vous ne lui trouvez pas quelque chose de très contemporain, malgré ses 1 417 ans ? Mais oui : son architecture en arc surbaissé, l’une des formes les plus courantes de nos jours. C’est en effet le tout premier pont de ce type au monde, ce qui montre l’inventivité et l’audace des architectes et ingénieurs chinois sous l’éphémère dynastie Sui. Des précurseurs à coup sûr !
Ponts disparus et ponts vivants
Les ponts historiques de notre inventaire sont les plus vieux qui soient parvenus en bon état jusqu’à nous, mais il a dû y en avoir beaucoup d’autres, sans doute plus vieux encore, qui ne se sont pas conservés, notamment les ponts de bois et de cordages.
L’existence très ancienne de ponts de cordes est par exemple documentée en Amérique du Sud. Le plus vieux pont de corde inca dont l'emplacement est bien connu remonterait au XIIIe s. : au Pérou, c’est celui qui permettait à la route de Cuzco, la capitale inca, de franchir le vertigineux canyon de la rivière Apurimac. Le pont actuel, refait tous les ans, est toujours construit suivant la même technique, celle du « pont tibétain ».
En Suisse, au bout du lac de Neuchâtel, sur la Thielle, les vestiges du plus ancien des ponts de bois du site de La Tène ont été daté d’il y a quelques 2 680 ans.
Que dire, enfin, des ponts vivants, faits de racines patiemment entremêlées ? On ne peut pas dater cette technique indienne, propre aux régions de Meghalaya et du Nagaland (frontière avec le Bangladesh), mais elle a pu être inventée loin dans le passé. Il faut environ 20 ans pour faire ainsi pousser un pont, c’est un travail de longue haleine... mais ils peuvent vivre jusqu'à 500 ans !