Latrines et vieux cacas - 1
Les petits coins de l'archéologie, entre hygiène et culture.
Raconté pour vous par Cécile, le 20 octobre 2021 - temps de lecture : 3 mn
Quand ? De l'âge du Fer oriental au Moyen Âge français - Où ? Irsaël, France, Italie, Tunisie
Avez-vous vu passer la découverte, le mois dernier (septembre 2021), de toilettes privées à cuvette de pierre vieilles de 2 700 ans, à Jérusalem ? L’info a fait le buzz pour son côté insolite, mais l’archéologie des lieux d’aisance est un vrai sujet.
La reprise de cette étonnante trouvaille sera l’occasion de vous expliquer ce que de tels vestiges apportent à la connaissance des populations du passé. Mais pour que l’enquête soit complète, on ne s’intéressera pas qu’aux cuvettes de wc… car les archéologues fouillent aussi les contenus des fosses septiques, à la recherche de… et bien vous verrez !
Une plongée tout en délicatesse dans les entrailles de l’archéologie, en deux parties.
1. Jérusalem : les toilettes privées d'un palais pré-romain
Les fouilles menées dans le quartier Armon Hanatziv, préalablement à un projet de construction, ont révélé les vestiges d’un palais du VIIe s. av. J.-C., à l’époque des rois de Judée. Les appartements privés de ce très riche édifice incluaient une petite pièce de 3 m², comprenant des latrines : une grosse pierre percée, faisant office de siège, était disposée au-dessus d’une fosse septique creusée dans la roche.
Dans ce cabinet de toilette, et surtout dans la fosse réceptacle, les archéologues de l’Autorité des Antiquités d’Israël ont également mis au jour un grand nombre de bols, dont certains ont pu contenir des huiles aromatiques et autres substances odoriférantes susceptibles de masquer les relents émanant de la fosse… On a beau être princesse, les odeurs sont les mêmes pour tout le monde !
Des bols au fond de la cuvette ? Eh oui : la fouille ne s’est pas arrêtée au brossage du siège percé : sous le bloc, la fosse septique a aussi été explorée. On y a retrouvé notamment des tessons de poterie et des os d’animaux. Est-ce à dire que les aristocrates de Judée mangeaient jusqu’à leurs assiettes ? Bien sûr que non : cela signifie que ces cabinets servaient aussi de vide-ordure, tout simplement. On reste loin de l’idéal de propreté de la salle de bain entièrement dédiée aux soins du corps…
Le cas des WC antiques mis au jour cet automne 2021 n’est pas isolé : d’autres découvertes du même type ont été faites sur plusieurs sites aristocratiques de la même époque, à Jérusalem et dans sa région.
Ces dispositifs restaient toutefois un luxe, uniquement accessibles à ceux qui avaient la place et les moyens financiers de se faire aménager une pièce de ce type, puis de la faire entretenir (avez-vous déjà vidangé à la main une fosse septique ?).
Comme souvent, et partout ailleurs, le commun des mortels utilisait des pots de chambre ou se soulageait à l’extérieur.
2. Le temps des toilettes collectives
Il est difficile à beaucoup d’aller aux toilettes dans des lieux publics… Les odeurs, la propreté douteuse des lunettes, les chasses d’eau en panne, sans parler des bruits intimes et, pour certains, de la simple idée de se soulager à moins d’un mètre de quelqu’un d’autre, séparés uniquement par une fine cloison... Cela rend parfois ce besoin naturel de soulagement impossible !
Alors imaginez-vous officiant à la vue de tous, sur une longue file de toilettes à ciel ouvert, comme à l’époque romaine ?
Eh oui, le soulagement de besoins naturels et l’intimité ne vont pas forcément de pair, tout est affaire de culture !
Ainsi, au Ve s. av. J.-C., l’historien grec Hérodote trouvait justement les Égyptiens répugnants parce qu’ils ne faisaient pas leurs besoins dans la rue, comme toute personne civilisée, mais chez eux. En revanche, ils mangeaient dans la rue (c'est-à-dire, dans son esprit, devant tout le monde, au milieu des miasmes et des immondices). Quelle vulgarité ! Quel manque d’hygiène et de décence élémentaire !
Tous les amateurs d’archéologie antique ont un jour visité des latrines romaines, en France ou ailleurs. Outre leur manque flagrant d’intimité, ce qui est très souvent frappant pour nous autres, contemporains, c’est leur ouverture sur l’extérieur et le luxe mis en scène dans ces espaces : spacieux (forcément, si on doit pouvoir s’y asseoir à 30…), de marbres revêtus, pourvus de décors peints soignés, de vasques et rigoles d’eau courantes au sol.
A quoi cela rime-t-il ?
Les Romains étaient très fiers de la maîtrise technique qu’ils avaient de l’eau, qui permettait à chacun en ville d’avoir un accès public à une eau propre (eau courante pour les plus aisés, mais surtout fontaines et bassins).
L’entretien d’une certaine hygiène corporelle était aussi préconisé.
Le faste apporté aux latrines communes faisait partie de la mise en scène de cette hygiène publique. Les latrines étaient des monuments des eaux tout aussi dignes d’importance que des thermes ou des aqueducs.
Encore faut-il supporter l’idée de s’essuyer les fesses avec des éponges collectives, attachées au bout de bâtons, comme c’était proposé…
Heureusement qu’il existait aussi (parfois) des toilettes individuelles dans les lieux publics, ainsi que des lieux d'aisance privés dans les maisons aisées !
3. Un Moyen Âge si sale ?
S’il y a bien une époque qui passe pour crasseuse, c’est le Moyen Âge. On a en tête des villes aux rues jonchées d’ordures, des corps jamais lavés, des dentitions pourries et des haleines fétides, comme dans Les Visiteurs ou Le Nom de la Rose.
La situation est beaucoup plus nuancée.
D’abord parce que cette idée tient surtout aux comparaisons faites avec l’époque romaine, ses thermes publics dans toutes les villes, son tout-à-l’égout, son culte des corps et sa grande consommation d’eau.
Mais surtout, on oublie souvent l’existence des étuves dans les villes, ces nombreux établissements de bains héritiers des thermes, avec leurs espaces de restauration et d'agréments (et qui servaient aussi souvent de maisons closes aussi, c’est vrai).
On oublie aussi qu’il reste de très nombreux exemples de latrines conservées ! C’est le cas des châteaux, où ces dispositifs, parce qu’ils étaient en pierre et maçonnés dans les murs, sont souvent restés en place.
Le modèle standard de ces cabinets est simple : le très petit espace des toilettes (le plus souvent à une seule place) était installé en excroissance dans les murs extérieurs ou dans les renfoncements d’une pièce.
Dans un premier cas, la pierre percée servant de cuvette ouvrait sur le vide, à l’extérieur.
Dans un second cas, la cuvette se prolongeait en dessous par un conduit descendant jusque dans une fosse (si possible vidangeable), plusieurs étages plus bas. Aux rez-de-chaussée, les latrines ouvraient directement sur des fosses septiques, très rarement sur un dispositif de tout-à-l’égout.
Comme on le voit aux Tours de Merle (Corrèze), il n’y avait cependant pas de porte et seul un rideau pouvait isoler l’officiant du reste de la pièce, évitant aussi les déperditions de chaleur. La cuvette pouvait aussi être refermée par un couvercle.
Les miniatures des ouvrages illustrés de la fin du Moyen Âge montrent également des maisons privées pourvues de latrines, sur des modèles similaires à ceux des châteaux, mais plus généralement en bois.
La suite la semaine prochaine,
pour comprendre ce que cette
étrange archéologie des petits coins
apporte à la connaissance des sociétés du passé !