Qadesh : archéologie d'un traité de paix

2. La bataille la mieux connue de l’âge du Bronze

Raconté pour vous par Cécile, le 21 avril 2021 - temps de lecture : 5 mn

Où ? Égypte, Turquie, Syrie - Quand ? vers 1274 à 1258 av. J.-C. - Période : âge du Bronze

On peut décrire les mouvements de troupes de la bataille de Qadesh presque aussi précisément qu’on le ferait pour une bataille napoléonienne !

Comment est-ce possible, étant donné que cet affrontement a eu lieu il y a 2394 ans (vers 1274 av. J.-C.) ?

Le grand relief de la bataille de Qadesh à Abou Simbel. Ici Ramsès II, à la tête d'une division de chars, déferle sur les Hittites, qu'il piétine. A droite, la ville fortifiée de Qadesh, dans une boucle de l'Oronte. Crédits : Araldo De Luca, pour le National Geographic en ligne.

C’est que Ramsès II n’a pas lésiné sur la publicité pour faire connaître à toute l’Égypte l’issue du combat !

Désireux de s’inscrire dans l’esprit des Égyptiens comme un le pharaon vainqueur des Hittites, l’ennemi héréditaire, il utilisa les meilleures techniques de communication de l’époque : la diffusion de récits officiels en sa faveur, ainsi que le recours aux représentations figurées.

La construction d'un récit officiel bien rôdé

Ces « proto-bd », étaient gravées, sculptées et peintes là où tout le monde les verrait, c'est-à-dire sur les hauts murs des temples. Elles étaient accompagnées de textes décrivant les événements scène par scène, de manière à ce que les prêtres puissent commenter la bataille. Une sorte de tapisserie de Bayeux avant la lettre !

Restitution 3D de la façade du temple de Louxor, où figurent les représentations géantes et les textes de la bataille de Qadesh.Crédits : Millmore/University of Memphis

Communication rimant avec diffusion, la bataille de Qadesh a été représentée sur pas moins de 5 sites dans toute l’Égypte : à Abydos, à Karnak, à Louxor, à Thèbes sur les murs du Ramesseum, le temple funéraire du pharaon (édifié de son vivant) et jusqu’à la frontière sud de l’Égypte à Abou Simbel.

Les textes légendant les illustrations ont également été diffusées sur papyrus à travers le pays. Plusieurs copies en sont parvenues jusqu’à nous. Dernier outil de communication auquel on ne pense plus de nos jours : les conteurs et poètes.

Ramsès II fit ainsi écrire par son poète préféré, Pentaour, un long poème écrit à la première personne du singulier (tout en modestie...) relatant ses exploits par le menu (le Poème de Pentaour) ainsi qu’un Bulletin militaire, moins épique. Ces textes été diffusés dans les cours, au sein de l’aristocratie et dans les cercles de lettrés, et pouvaient atteindre la population par le biais des conteurs itinérants.

Illustration : une partie conservée sur papyrus du Poème de Pentaour, en écriture hiératique. Crédits : RMN-Grand Palais, musée du Louvre, cliché: H. Lewandowski.

Les événements

Le déroulement de l’affrontement, qui a duré deux jours, peut être résumé en ces termes :

dans la plaine de l’Oronte, à côté de la ville de Qadesh, les Hittites étaient déjà installés tandis que Ramsès II attendait avec un effectif réduit l’arrivée de ses quatre divisions armées.

Profitant de la situation, le roi Muwatalli décida d’attaquer le camp ennemi et la colonne égyptienne de renfort la plus proche de Ramsès, avant que toutes les divisions rejoignent le pharaon.

La charge des chars hittites contre le camp égyptien, sur les murs du Ramesseum - dans H. Stierlin 1992, Les pharaons bâtisseurs, p. 172.

Gagnante dans un premier temps, cette stratégie se retourna contre Muwatalli et tourna inopinément à l’avantage des Égyptiens, grâce à une manœuvre audacieuse de contournement menée par Ramsès en personne et par l’arrivée heureuse d’une division par le sud et d’un contingent allié (celui des Na'arin) par le nord, qui purent prendre les Hittites en étau.

Rattrapés par les Égyptiens pendant leur retraite, peu réussirent à franchir l’Oronte pour rejoindre leur camp. Les soldats hittites furent ainsi massacrés sur les bords du fleuve ou périrent noyés.

Carte : Zunkir / CC-BY SA

Score final : un match nul respectable et un traité tardif

Le champ de bataille de Qadesh, jonché de morts, de blessés et de débris de chars. Ramesseum. Dans H. Stierlin 1992, Les pharaons bâtisseurs, p. 172 - cliché A. Stierlin.

Le lendemain, l’ensemble des troupes égyptiennes étaient enfin rassemblées, mais chacun des deux camps était affaibli.

L’issue d’une autre bataille étant estimée trop incertaine, les rois acceptèrent l’armistice.

Les troupes de Ramsès se retirèrent du royaume de Qadesh et rentrèrent en Égypte, mais aucun traité de paix de fut signé : dans les normes militaires de l’époque, ce retrait ne marquait qu’une trêve, dans une atmosphère d’inimitié latente et persistante.

Ramsès II échoua donc à prendre Qadesh, et Muwatalli II échoua à vaincre les Égyptiens.

Dans les années qui suivirent, le Hatti reprit même le royaume d’Amurru, tandis que Ramsès effectuait en 1271 av. J.-C. une sorte d’expédition punitive contre plusieurs petits royaumes de Jordanie et de Syrie ayant voulu déclarer leur indépendance, avec le soutien probable du roi Muwatalli en arrière plan.

Malgré cela, il n’y eu plus d’escarmouche directe entre Égyptiens et Hittites. La paix fut signée 16 ans plus tard. Cela vous paraît long ? N’oubliez pas que la politique et la diplomatie prennent du temps, surtout dans ces pays immenses, se battant pour des frontières très éloignées du cœur des royaumes, et à des époques où les distances ne se parcouraient pas aussi vite que maintenant !

Le vrai traité de paix, entérinant une décennie sans agression notable, finit donc par être signé en 1258 av. J.-C. entre Ramsès II et Hattusili III, le successeur de Muwatalli II.

Carte : territoires du littoral méditerranéen disputés par les Hittites et les Égyptiens. Au centre, les royaumes de Qadesh et d'Amurru - Crédits : Zunkir / CC-BY SA

Alors qui est donc sorti vainqueur de la guerre ?

Ramsès, qui a gagné la bataille de Qadesh ? Ou les Hittites, qui récupérèrent par le traité de 1258 tous leurs anciens territoires ?

Certainement pas les habitants de la région de Qadesh, mise à sac par tout le monde, en tout cas …

Bataille, traité de paix et interprétations nationales

Les documents qui nous permettent de raconter la bataille de Qadesh entre Ramsès II et Muwatalli II, puis la signature du traité de paix avec Hattusili III sont à la fois égyptiens et hittites… mais ils ne mettent pas tous en valeur la même chose !

Les représentations iconographiques, très abondantes, concernent le déroulé de la bataille sont exclusivement égyptiennes, de même que les textes relatifs au même événement. Les Hittites ont de leur côté nettement privilégié la diffusion des termes du traité de 1258.

Ramsès II mène la charge des chars égyptiens durant la bataille de Qadesh.Dans J.-F. Champollion, L’Égypte de Jean-François Champollion. Lettres et journaux de voyage. Image-image, 1989, p. 286.

L’importance donnée par le pharaon à la victoire de Qadesh s’explique par le contexte politique interne à l’Égypte.

Sur le trône depuis seulement 4 ans, Ramsès II avait à cœur de marquer rapidement son règne par des hauts-faits susceptibles d’asseoir son autorité, d’affirmer ses qualités de chef de guerre et de s’afficher comme conquérant.

La prise de la forteresse de Qadesh par Séthi 1er: les défendeurs (représentés dans le style hittite) des remparts tombent sous les flèches des Égyptiens ; temple de Karnak. Pauvres habitants de Qadesh, ils ont drôlement dégusté ! Crédits : University of Memphis.

La propagande autour de sa victoire permettait aussi de s’inscrire dans la lignée de son père Séthi Ier, qui avait vaincu les Hittites (à Qadesh, pour changer) vers 1300 av. J.-C., et mis en scène sa victoire sur les murs du grand temple de Karnak.

Et du côté hittite ? Ayant été défait à Qadesh, le roi Muwatalli n’avait pas grand intérêt à étaler dans tout le Hatti et ses royaumes vassaux le récit de sa déconfiture. Plusieurs textes officiels mentionnent les déboires avec les Égyptiens, mais ils n’étaient évidemment pas destinés à être diffusés à la population.

En revanche, le texte du traité de 1258, lui, est bien connu par les textes, qui en présentent une version en akkadien, la langue officielle, histoire que le texte puisse être lu dans tous les royaumes soumis aux Hittites (enfin, du moins par les gens qui connaissaient l'akkadien).

Et là, de fait, on comprend mieux pourquoi la nouvelle de la paix avec l’Égypte a fait l’objet d’un beau battage dans le Hatti : les termes du contrat sont en effet très à l’avantage des Hittites, car les Égyptiens reconnaissent leur domination sur presque tous les royaumes de l’est de la Méditerranée.

De quoi faire mousser le nouveau roi Hattusili III, signataire du traité !

Le texte en assyrien du traité de paix de Qadesh (1258 av. J.-C), mise au jour à Hattusa, capitale du Hatti. Musée archéologique d'Istanbul. Crédits : Les Amis de l’Égypte Ancienne (site internet de l'association)

On se doute que l’événement eut moins de retentissement en Égypte… Pourtant, ce traité en demi-teinte pour Ramsès a tout de même réussi à être présenté de manière avantageuse : en signant la paix avec les Hittites (après les avoir vaincus 16 ans plus tôt), le pharaon apparaît comme le sage protecteur de son peuple. C’est à ce titre que le texte figure sur les monumentaux pylônes d'entrée du temple d’Amon à Louxor et sur les murs du Ramesseum.

Version hittite, en assyrien, du traité de QadeshNeus Museum, Berlin - Osama Shukir Muhammed Amin/CC BY-SA
Version égyptienne du même traitéKarnak, Cour du VIIe pylône "cour de la cachette" - Carl Richard Lepsius / Public domain

On notera tout de même des différences notables entre les moutures égyptiennes et hittites des deux textes. Le fond est le même, mais la tournure du discours varie sensiblement, et pour conserver la paix, il fallait mieux qu’aucun des deux rois ne tombe sur la version de l’autre !

La ville fortifiée de Qadesh (tours et remparts), sur le bord de l'Oronte, entourée de soldats hittites, à Louxor.

Temple d'Amon, Louxor, 1er pylône de Ramsès II. Dans J.-F. Champollion, L’Égypte de Jean-François Champollion. Lettres et journaux de voyage. Image-image, 1989, p. 260.

La même forteresse de Qadesh, avec ses hautes tours, dans une boucle ronde de l'Oronte, sur les murs du Ramesseum.

Dans J.-F. Champollion, L’Égypte de Jean-François Champollion. Lettres et journaux de voyage. Image-image, 1989, p. 286.

Ramsès II reçoit des espions déguisés en bédouins, qui lui donnent de faux renseignements sur l'armée hittite.

Ramesseum. Dans J.-F. Champollion, 1989, p. 287.

A gauche : le pillage du camp égyptien par les Hittites. A droite: des espions hittites sont capturés et battus.

Ramesseum. Dans J.-F. Champollion, 1989, p. 287.

La débâcle : les chars hittites fuient devant l'armée égyptienne.

Ramesseum. Dans J.-F. Champollion, 1989, p. 291.

Les soldats hittites s'enfuient et essaient de récupérer leurs chefs, l'un déjà noyé (droite) ou qui s'enlisent dans l'Oronte.

Ramesseum. Dans J.-F. Champollion, 1989, p. 286.

Une leçon à tirer de ce double regard sur ces événements lointains ? Information, désinformation, interprétations et propagande politique ne sont pas des inventions récentes !

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