Peindre pour les morts : l'art dans la tombe
Europe et bassin méditerranéen
Raconté pour vous par Cécile, le 22 avril 2022 - temps de lecture : 3 mn
Quand ? de l'Antiquité au Moyen Âge
Où ? Égypte, Macédoine, Bulgarie, Italie, Jordanie, Belgique
La découverte récente, à l’été 2021, d’une tombe médiévale intacte et peinte, à Bruges, en Belgique, nous donne l’amorce de cet article consacré aux décors peints des sépultures. En fonction des époques et des civilisations, ces fresques qui ornaient les parois des tombeaux représentent diverses motifs et ont plusieurs fonctions.
Quelque soit les choix artistiques et les sujets ou symboles représentés, les peintures expriment toujours la piété des individus, leur respect des règles et rites religieux… ainsi que leur aspiration à se montrer sous leur jour le plus positif. L’objectif est de mettre les divinités de l’Au-delà dans les meilleures dispositions pour les accueillir.
Cela donne un peu l'impression que les futurs défunts fayottent avec la Mort, mais c’est de bonne guerre : seul désormais, à l’orée d’un monde inconnu, séparé à tout jamais des siens, le mort a besoin de tout ce que les vivants peuvent lui fournir pour qu’il effectue son mystérieux voyage dans de bonnes conditions. Les éléments décoratifs des murs en font partie.
Les offrandes réelles sont donc complétées ou remplacées par des offrandes peintes, sculptées, ou sculptées et peintes. Les fresques déroulent aussi parfois des scènes représentatives de la vie de l’individu, chargées de montrer aux divinités infernales que la personne a mené une vie conforme à la morale et à son rôle social.
Mais, comme l’architecture du tombeau, le message du décor peint s’adresse en fait aussi aux vivants : si la sépulture a été commanditée du vivant de son propriétaire, elle sert à exposer aux yeux de l’entourage sa capacité (financière) à investir dans l’avenir, si l’on peut dire. Car, même si se prévoir une sépulture décente est une nécessité et une banalité pour ceux qui le peuvent, il y a un côté bling-bling qu’il ne faut pas négliger dans le choix de l’architecture et des décors !
La richesse d’un tombeau, qui s’affirme dès le moment de sa construction, est le symbole de la richesse et de l’importance sociale d’un individu ou d’une famille. Concernant les décors peints intérieurs, on pourrait penser qu’ils ne peuvent pas s’adresser aux vivants, puisqu’ils ne sont pas visibles, les chambres funéraires étant très rarement le lieu de cérémonies publiques. Toutefois, l’important n’est pas que cela soit visible, mais que les gens sachent que le commanditaire a fait appel aux meilleurs artistes et artisans du moment ! Leur travail pouvait être admiré lors de visites de chantier et de visites du monument achevé, mais pas encore en fonction.
1. Les œuvres les plus célèbres : les tombeaux égyptiens
Pour débuter, impossible de passer sous silence les plus connues des sépultures ornées de peintures : celles des tombeaux nobles de l’Égypte antique ! Mais comment vous en proposer une vision à la hauteur de l’art funéraire des artistes d’il y a 4 000 ans ?
Nous avons décider de vous immerger dedans. Pour cela, quoi de mieux que d’admirer de vos propres yeux ? Nous vous proposons donc la découverte de 4 tombes égyptiennes d’exception, accessibles par la magie des visites virtuelles. Cliquez sur l'image, et c'est parti !
La dernière est enfin celle du pharaon Ramsès VI, enterré dans la vallée des Rois,à Louxor, mort en 1 136 av. n. è. Sa particularité ? Sa très longue galerie (116 m) merveilleusement décorée était déjà un lieu de tourisme dans l'Antiquité, comme le prouve les graffitis des visiteurs retrouvés sur les murs !
2. L'art grec pour accompagner les rois dans l'Au-delà
Saut dans le temps et l’espace ! Chez les Grecs et les Romains, l’usage des décors peints dans les tombes était l'apanage des mausolées des riches familles. Il n’en reste que peu d’exemples conservés, par rapport à ce qui devait exister, hélas.
Pour le monde grec, voici l’exemple des magnifiques peintures des tombes aristocratiques de la nécropole tumulaire de Vergina (Macédoine), peintes vers 350-200 av. n. è. La plus célèbre d’entre elles est celle du roi Philippe II de Macédoine, le père d’Alexandre le Grand.
Fresque de la chasse, au dessus de l'entrée de la tombe dite "de Philippe II". En haut, dessin de G. Miltsakakis
Deux tombes, toutes deux peintes, se disputent en fait ce titre, sans que l’on puisse jusqu’ici trancher. On se contentera pour notre part d’admirer, dans la première (celle dite "de Philippe II") la merveilleuse scène de chasse, dans l’autre (dite "de Perséphone"), la remarquable fresque de l’enlèvement de la déesse par Hadès, l’une des plus fines et expressives de l’art grec.
L'enlèvement de Perséphone par Hadès, dans la tombe dite "de Perséphone" - © Unknown Author / Public Domain
3. Suivre les Thraces
Le monde grec ne se limite évidemment pas à la Grèce continentale : c’est ce qu’on oubliera pas en admirant les peintures funéraires de peuples voisins des Grecs et qui ont été séduits par leurs formes d’art, au point d’en épouser les codes esthétiques.
C’est le cas des Étrusques, on le verra plus bas, mais aussi des Thraces, qui occupaient l’Europe centrale. En Bulgarie, l'exceptionnelle tombe du cavalier d’Alexandrovo en est un bon exemple. Construite au IVe s. av. n. è., elle est quasi contemporaine de celles de Vergina ! La coupole de la chambre funéraire est ornée d’une très belle frise représentant une chasse au sanglier, tandis que les murs de l’antichambre sont plus sobrement peints de panneaux rouges et noirs et de rinceaux végétaux.
4. Célébrer la vie dans la tombe : fêtes et réjouissances dans les tombes étrusques
Le monde des morts étrusque a l'air aussi attrayant que des congés sur une île paradisiaque ! Chez eux, les décors peints des tombes représentent volontiers des scènes de fêtes permanentes, de danses et de chants, baignades et promenades en barque, où tout le monde est détendu et souriant... Comme s'ils passaient leur mort en vacances !
Cliquez sur l'image ci-dessous et redécouvrez ce monde extraordinaire grâce à la visite virtuelle de la tombe de la Chasse et de la Pêche, à Tarquinia (accès en bas de la page qui s'ouvre), qui vous plongera dans la magie des couleurs des tombes étrusques et la manière unique de cette culture de représenter la vie dans l’Au-delà comme un long banquet, dans un environnement riche et foisonnant.
5. "Hélas pour moi, je suis mort !"
Après les merveilles de l’art grec et de ses interprétations régionales, l’art romain peut paraître une pâle copie sans grand intérêt… C’est sans compter sur le don des artistes pour la narration, tant figurative que textuelle, proche de la BD ! Le cas est bien illustré par l’hypogée, dit « tombe du Fondateur », découvert en 2016 dans l’antique ville de Capitolias, en Jordanie. Le tombeau monumental date de la toute fin du Ier s. ou au IIe s. de n. è. et abritait vraisemblablement la sépulture du fondateur de la ville !
L’iconographie, particulièrement abondante et originale dépeint la fondation de Capitolias, depuis la phase des offrandes aux divinités tutélaires jusqu’au chantier de construction. De nombreuses inscriptions en grec et araméen (les langues en usage dans la région) ponctuent le déroulé des événements, dont la très expressive exclamation d’une victime d’un accident : « hélas pour moi, je suis mort ! ».
6. A Bruges, une tombe inviolée et intacte du XIVe s.
Il faut avancer dans le temps de plusieurs siècles pour retrouver, loin dans le Moyen Âge, une nouvelle tradition de peintures funéraires.
L’ancien comté de Flandres, et plus précisément le secteur entre Gand, Bruges et la région néerlandaise de la Zeeuws-Vlaanderen, est l’une des rares régions de l’Europe médiévale où il était fréquent de peindre l’intérieur des tombes des riches personnages.
Pour comprendre de quoi il s’agissait, examinons le cas de la tombe découverte en 2021 à Bruges, dans le cimetière de l’église Notre-Dame. Selon une pratique commune, les défunts étaient inhumés dans des tombes maçonnées en briques. Les parois intérieures de ces petits caveaux étaient ornées de scènes religieuses aux couleurs très vives, réalisées très rapidement, puisque les tombes étaient aménagées au moment de la mort de l’individu. Les artistes ne disposaient donc que de quelques heures pour installer le décor peint, et devaient travailler dans des positions assez inconfortables, à l’intérieur du caveau.
L'intérieur de la tombe peinte, au moment de sa découverte : à droite, Vierge à l'Enfant ; à gauche, un ange agitant un encensoir - © mvn
Il n’en demeure pas moins que leurs réalisations étaient d’une grande qualité d’exécution. Celles de la tombe découverte en 2021 montrent une Vierge à l’Enfant, le Christ crucifié entre Marie et Jean, ainsi que des processions d’anges et des symboles cruciformes. Ce décor caché exprime l’espoir de voir l’âme du défunt rejoindre le Ciel. Bien que lui-même ne puisse plus rien faire pour son salut, puisque seuls les vivants peuvent prier pour lui et dire des messes, il exprime ainsi sa foi, sa piété et son attente du jour de la Résurrection.
Le Christ en croix, entre Marie et Jean - sur le site Raakvlak
Pensez-vous que la pratique d’orner les tombes de riches peintures est définitivement passée en Europe ? Pas du tout ! S’il est vrai qu’en France, admettons-le, les cimetières sont plutôt minéraux et tristounets, ce n’est pas le cas partout.
Ainsi, dans la région de Maramures, en Roumanie, le village de Săpânța possède sans doute le plus joli cimetière d’Europe, où les tombes sont colorées et peintes ! Chaque pierre tombale est en effet surmontée d’une magnifique stèle et d’une croix de bois, peinte en bleu vif et ornée d’une scène figurative évoquant la vie ou a personnalité du défunt, accompagnée d’un court texte poétique ou humoristique.
Ça a quand même une autre allure que nos cimetières froids et impersonnels tout de béton et de marbres biens alignés, de rangées de graviers et de fleurs en plastique !