Les palais de Charlemagne
Où vivaient les rois avant les châteaux forts ?
Raconté pour vous par Cécile, le 06 janvier 2022 - temps de lecture : 5 mn
Quand ? époque carolingienne (751-937), règne de Charlemagne (768-814)
Où ? Allemagne, France, Espagne
Charlemagne est l’un des souverains les plus connus d’Europe. Pourtant, cette période du haut Moyen Âge, qu'on appelle les temps carolingiens (751-937 de notre ère), n'évoque souvent rien au grand public, en termes de vestiges archéologiques.
C'est une époque à laquelle on pense assez peu et qui n'est pas tellement médiatisée. Il faut dire qu'en dehors d'objets liés à la vie religieuse (reliquaires et autres objets liturgiques précieux, manuscrits enluminés), il n'y a guère que des parties d'églises, baptistères et monastères qui soient parvenues jusqu'à nous. Malgré leur décors parfois très beaux, c'est un peu monotone... Les villages et fermes mis régulièrement au jour sont loin d'être spectaculaires et les villes étaient à moitié à l'abandon, pfff quel ennui !
Les palais peut-être ? Paradoxalement, les demeures aristocratiques ne sont pas mieux connues. Il faut dire que peu d’entre elles ont traversé les siècles, au contraire des villas romaines ou des châteaux du Moyen Âge central. La plupart ont en effet été rasées, ou réoccupées et transformées au cours des siècles suivants, au fur et à mesure que les modes de vie de l’aristocratie et les formes du pouvoir évoluaient.
Des palais, il y en avait pourtant beaucoup. Véritable souverain bâtisseur, Charlemagne fit construire ou rénover plus de 60 palais et plus de 400 monastères ! Car la royauté franque, à l’époque carolingienne, était itinérante : il n’existait pas de capitale, et la cour se déplaçait d’une résidence royale à l’autre. Elles se trouvaient surtout au cœur des grands domaines ruraux sur lesquels l’aristocratie appuyait sa fortune, mais aussi, parfois, dans quelques villes encore importantes.
Maquette 3D du palais de Charlemagne à Aix-la-Chapelle, par Priscilia Barbuti - © Priscilia Barbuti - voir ici sur son blog pour de vues de détail
De ces vastes demeures princières, il existe encore de très beaux vestiges, pour peu qu’on sache les distinguer sous les architectures plus récentes !
Ce sont donc quelques uns de ces palais carolingiens bien cachés, dont nous vous proposons la découverte cette semaine, dans un aller-retour entre la France et l’Allemagne... et un petit bonus !
1. Le palais impérial d'Aachen
Impossible de ne pas commencer par le plus fastueux d’entre eux : le palais de Charlemagne à Aix-la-Chapelle (Aachen, en Rhénanie-du Nord-Westphalie) !
Sa création a été le symbole d'un grand changement dans les modes de gouvernement de l’époque, comme Versailles le fût pour Louis XIV. En effet, le complexe palatial d’Aix-la-Chapelle a été le centre névralgique du gouvernement de l’Empire, sans doute dès le début de sa construction, en 794, à coup sûr à l’achèvement du gros-œuvre en 798. Une nouvelle capitale administrative, en somme, où l'empereur résida désormais à l'année.
Reconstitution d'ensemble du palais d'Aix-la-Chapelle - ©Aliesin / CC BY-SA
Inspiré à la fois des pratiques architecturales antiques, mérovingiennes et byzantines, ce grand ensemble comprenait 3 parties principales : la résidence privée, l’église (la chapelle palatine) et l’aula magna, c'est-à-dire la grande salle d’audience, de travail et de réception.
Les différents secteurs étaient reliés par des galeries couvertes. Des thermes antiques encore en fonction, hérités de l’ancienne agglomération d’Ad Aqua Grannis, complétaient, un peu à l’écart, le complexe palatial.
Les bâtiments abritant les appartements privés de Charlemagne et de sa famille ne sont pas conservés.
Le trône dit de Charlemagne, dans la chapelle palatine -
© HOWI Horsch Willy / CC BY-SA
Les élévations les plus belles encore debout sont celles de l’extraordinaire salle centrale de la chapelle palatine (une véritable grande église, en fait), avec le trône de Charlemagne au milieu !
La chapelle symbolisait le pouvoir religieux de l’empereur, de même que l’aula regia symbolisait son autorité politique et militaire.
L'intérieur de la tour octogonale, ornée des splendides mosaïques dorées originelles -
© Traveler100 / CC BY-SA
Toutefois, la chapelle palatine et ses annexes étaient aussi le lieu principal de travail du gouvernement, pour l’essentiel composé d’hommes d’église (les seuls lettrés, en fait).
Il reste de ce magnifique monument la tour octogonale centrale, intégrée à la cathédrale actuelle, décorée d’extraordinaires mosaïques murales en or.
2. Une résidence inspirée de l'Antiquité : Ingelheim
Bien avant la création du palais d’Aix-la-Chapelle, une très luxueuse résidence royale avait déjà été construite sur le Main, à Ingelheim.
Palais d’hiver de l’empereur jusqu’à la construction de celui d’Aix, Ingelheim était aussi le lieu de séjour préféré de Louis le Pieux, fils et successeur de Charlemagne.
Le plan d’Ingelheim, inspiré de celui des palais antiques, était très harmonieux : des bâtiments, dont l’aula regia (la salle d’audience), et plus tard l’église agrandie, se répartissaient sur 3 côtés d’une immense cours. Sur le 4e côté, un imposant ensemble architectural formait un vaste arc-de-cercle, bordé de 6 tours.
On retrouve les mêmes éléments marquants que dans les autres palais carolingiens : l’immense salle d’audience de plan basilical, l’église et les bâtiments annexes, comprenant les salles de travail, les communs et les appartements privés.
En France aussi, il y a des vestiges de résidences royales carolingiennes. Si Charlemagne était un empereur germanique (qui parlait le francisque, un dialecte encore existant en allemand), il est toutefois né et a été élevé entre la Belgique et le nord de la France, et y a longtemps séjourné.
Au cœur du Maine, deux très beaux palais sont encore ainsi cachés.
3. L'aula magna de Doué-la-Fontaine
Le premier est celui de Doué-la-Fontaine, dans le Maine-et-Loire. Il en reste en fait l’aula magna, rectangulaire, de 17 m sur 20, conservée sur plus de 5 m de haut ! Le bâtiment, séparé en deux pièces, comprenait la grande salle d’audience et probablement une salle pouvant accueillir un appartement privé.
Ce n’est pas l’édifice qui existait du vivant de Charlemagne, détruit durant les raids vikings de la 2nde moitié du IXe s. Il s’agit de sa reconstruction, aux alentours de l’an 900, qui reprenait le même plan.
Comment un tel édifice est-il parvenu jusqu’à nous ? C’est très simple : au XIe s., après avoir été une première fois surélevé d’un étage, il a été enfoui sous une haute butte de terre, pour servir d’assise à une motte castrale ! Le site a été fouillé à la fin des années 1960, jusqu’au dégagement de l’aula.
Les filiations directes ne sont pas courantes entre les résidences civiles carolingiennes et les châteaux à motte (à vocation militaire), mais c’est bien ce qui s’est passé à Doué-la-Fontaine !
4. Le château de Mayenne
C’est aussi le cas du très beau château de Mayenne, à 150 km au nord de Doué-la-Fontaine.
On voit actuellement l’état classique du XVe s., mais il reste encore, à l’intérieur, de nombreux pans de murs et des soubassements de l’état initial du Xe s. !
C’est en restaurant l’intérieur du château, au début des années 1990, qu’ont été découvertes des séries de murs, portes, arcades et fenêtres d’un style typiquement carolingien, cachés sous les crépis plus récents !
Le palais s’organisait sur trois niveaux et une tour, autour de la grande salle d’audience, à l'étage médian.
On ne voit pas les bâtiments contemporains de Charlemagne : un document de la fin du VIIIe s. mentionne bien l’existence d’une résidence, mais on ne sait pas où elle se situait. Les fondations d’un grand bâtiment en bois ont été découvertes sous le château actuel. Il s’agissait peut-être de cette première demeure.
Les élévations de pierre datent des successeurs de Charlemagne : c’est ce qu’il reste de la grande résidence seigneuriale du Xe s., qui, pour la première fois, est entourée d’un rempart. C’est l’ajout d’une fonction clairement défensive au site.
5. Santa Maria del Naranco (Oviedo, Espagne)
Certes, Oviedo, sur la côte nord de l’Espagne, n’est pas à proprement parler dans l’empire carolingien... Pourtant, l’extraordinaire palais, reconverti en église au Xe s., Santa Maria del Naranco est le plus bel exemple encore en élévation de l’architecture d’une résidence seigneuriale de l’époque carolingienne.
Le palais a été inauguré en 848 pour le roi Ramiro Ier. Le souverain n’était pas du tout de l’entourage des Carolingiens : c’était le roi des Asturies, un royaume important du nord de l’Espagne, sans rapport direct avec les territoires francs. Le monument est cependant considéré comme un excellent exemple de comparaison, parce que sa structure est similaire à celle des palais carolingiens… et qu’il s’agit de l’unique palais intact de cette lointaine époque !
Nous n’avons fait qu’un tour rapide des vestiges d’édifices civils carolingiens de France et d’Allemagne (plus notre petit détour par les Asturies).
Mais il en existe encore beaucoup d’autres que l’on pourrait faire découvrir, et on ne parle même pas des bâtiments religieux !
Si cela vous inspire, relisez donc notre coup de cœur sur l’oratoire de Germiny-des-Prés, et ne manquez pas non plus notre visite virtuelle de l'exposition "Aux sources du Moyen Âge".
Dites-nous aussi quels sites de cette époque vous connaissez et vous recommanderiez à la visite. Nous attendons vos avis pour proposer une nouvelle sélection de sites carolingiens !