Spécial fête de la musique
Six instruments étranges et une très vieille partition
Raconté pour vous par Cécile, le 26 juin 2021 - temps de lecture : 3 mn
Quand ? Préhistoire, Europe celtique, Antiquité grecque, Antiquité romaine - Où ? partout où l'on joue de la musique !
A l’occasion de la Fête de la musique, nous vous proposons un article spécial évocateur des premiers temps de cet art universel… à des époques où la notion de mélodie n’était qu’une vague idée, où les cours de musicologie et le conservatoire n’existaient pas et où la production de sons choisis par le biais d’instruments était en soi une sorte de prouesse mystérieuse.
Les musiques anciennes (même la musique médiévale !) n’ont rien de commun avec ce que nous connaissons et n’étaient d’ailleurs pas produites et écoutées dans les mêmes contextes que nous. Beaucoup plus intuitives et rythmiques, puissantes et souvent stridentes, elles étaient jouées pour accompagner des moments particuliers solennels et soulignaient des actions ou des événements. Les plus anciens chants que l’on connaisse sont ainsi des sortes de récitatifs rythmés, auxquels la musique, qui donne une large place aux percussions et aux notes longues, donne un côté dramatique.
A travers 6 découvertes archéologiques étonnantes (et un petit bonus !), découvrez avec nous cette dimension méconnue de la musique.
1. Le son de la toute première flûte
Le plus ancien instrument de musique connu, du moins formellement identifié comme tel, est une très belle flûte en os de vautour (un radius), mise au jour dans le S-O de l’Allemagne, dans la grotte de Hohle Fels, et datée de 35 000 ans !
Impossible de se tromper sur l’interprétation de l’objet, tellement il ressemble à une flûte traditionnelle : exceptionnellement bien conservé étant donné sa finesse (0,8 cm de diamètre), il mesure 21,8 cm de long, mais son extrémité manque. Il est percé de 5 trous régulièrement espacés.
L’embouchure, bien conservée, est du même type que celle d’une quena (une flûte des Andes) : elle est formée d’une simple encoche en forme de U à une extrémité du tube, dans l’alignement de la rangée de trous.
Ce n’est pas la seule flûte découverte sur des sites préhistoriques, et ce n’est certainement pas l’une des premières ayant été utilisée !
Sa facture et la précision de sa gamme pentatonique (une échelle de 5 notes) montre que les Aurignaciens qui utilisaient ces types de flûte n’en étaient pas à leur coup d’essai en matière d’instruments à vent !
Reste donc encore à découvrir les ancêtres moins élaborés de ces superbes objets.
Écouter la flûte de Hohle Fels :
2. Le souffle d'une conque marine en montagne
La grotte de Marsoulas, dans les Pyrénées (Haute-Garonne), est avant tout connue pour ses superbes et énormes animaux gravés et peints à l’ocre, dont les spectaculaires bisons ponctués, au pelage représenté par des ronds rouges. Les hommes ont vécu là il y a environ 18 000 ans, comme le montre l’abondant matériel mis au jour lors des fouilles.
Parmi les vestiges découverts, un étonnant coquillage géant avait été interprété, lors de sa découverte en 1931, comme un vase à boire, classé et oublié.
Cet objet assez insolite au pied des montagnes (le rivage le plus proche est la côte basque, à 250 km), a été réétudié l’année dernière.
Les chercheurs ont montré que la coquille avait en fait été percée à sa pointe et retaillée sur sa grande ouverture, de manière à pouvoir souffler dedans, à la manière des conques musicales utilisées dans de très nombreuses cultures à travers le monde.
Écouter la conque de Marsoulas :
3. L'ancêtre de la scie musicale ?
Toujours dans les Pyrénées, à seulement 27 km de Marsoulas, une autre grotte ornée a livré une représentation humaine mystérieuse, décrite comme un musicien muni d’un très étrange instrument.
La grotte des Trois-Frères (Ariège), est un bijou de l’art pariétal pyrénéen, riche de presque 1300 figures gravées et peintes, dont les représentations assez détaillées de deux hommes au corps à moitié animal, compris comme des dieux ou des sorciers.
Ces œuvres d’art ont été réalisées il y a 17 000 à 15 000 ans.
Le « Petit Sorcier à l’arc musical » est l’un des deux.
Cette peinture très vivante montre un homme-bison de profil, semblant danser au son d’un étrange dispositif placé entre ses mains/pattes…
C’est cet objet qui a été appelé « arc musical ».
Honnêtement, ce que l’on voit surtout, c’est une espèce de collier qui lui sort du nez, mais après tout pourquoi pas un arc ?
Lors de sa découverte, il a été suggéré que l’homme jouait de la flûte nasale (si si, ça existe). A vrai dire, ça se tient aussi.
Mais au juste, qu’est-ce que c’est, un arc musical ? Appelé aussi « arc à bouche », c’est un instrument traditionnel qui se retrouve sur tous les continents (sauf l’Europe).
La corde unique est placée dans la bouche, qui sert de caisse de résonance et permet de moduler les sons.
Ceux-ci sont émis par le musicien en pinçant la corde, en la frappant ou en y faisant glisser une baguette. Le jeu d’une 2nde baguette sur la corde permet aussi de moduler la longueur des notes et la fréquence les sons.
Vous l’aurez compris, l’arc à bouche n’est en fait pas l’ancêtre de la scie musicale, mais bien de tous les instruments à cordes.
Écouter un arc musical :
4. De la musique gravée sur les murs
Vous voici en Grèce, sur le splendide sanctuaire de Delphes, que vous pouvez aussi explorer en suivant la visite virtuelle de cette semaine (c'est ici).
Un grand saut dans le temps pour vous présenter la plus ancienne partition connue à ce jour. Enfin, j’exagère un peu : ce n’est pas exactement une partition, mais ce qu’on appelle des notations musicales, c'est-à-dire des indications de notes à jouer placées au-dessus des paroles chantées. L'une des deux lignes de notations s’adresse aux chanteurs, l'autre aux musiciens, qui peuvent ainsi broder, en semi-improvisation, sur le chant.
Au IIe s. av. J.-C., la délégation des Athéniens venue rendre hommage à Apollon devait être tellement fière de l’hymne composé pour l’occasion, qu’elle a pris la peine de la faire graver sur le mur arrière du trésor de leur ville !
Rappelons qu’un trésor est un petit édifice ressemblant à un temple, construit dans un sanctuaire et placé sous la protection d’un dieu, dans lequel une cité déposait ses objets de valeurs (son trésor).
Il reste de cet hymne un long paragraphe sur lequel se lisent les paroles de la chanson, ainsi que deux séries de lettres et symboles placés au-dessus des paroles du chant : les fameuses notations musicales.
Pas évident à déchiffrer et à interpréter !
Sur une intuition géniale, c’est pourtant ce qu’a réussi à faire dès 1893 le célèbre Théodore Reinach, musicologue et éminent épigraphiste, ouvrant la voie à notre compréhension de la musique antique.
Écouter l'hymne à Apollon :
5. Les trompes de guerre de Vercingétorix
Un tout petit peu après les chants religieux des Grecs d’Athènes, nous voici en Gaule vers 100 av. J.-C.
Dans le grand sanctuaire de Tintignac (Corrèze), une fosse à offrandes a livré, au milieu d’un assortiment d’armes, de casques et de boucliers, les vestiges de 7 carnyx, ces cors de guerre celtes, écrasés mais bien conservés !
Le carnyx est un instrument qui est connu depuis longtemps : représenté sur un grand nombre de monnaies et de bas-reliefs romains, c’est un objet dont on ne sait pas dater exactement l’apparition, mais qui est beaucoup plus ancien que ceux de Tintignac.
D’autres carnyx, plus ou moins fragmentaires, ont été retrouvés dans le monde romain, et datent cependant tous du Ier s. av. J.-C. et du Ier ou IIe s. ap. J.-C. Ces très longues trompes, qui pouvaient atteindre 2 m de haut, en imposaient par leur son tonitruant mais aussi par leur aspect impressionnant.
Fabriquées en tôles de bronze, elles étaient dorées et très brillantes.
Écoutez un carnyx :
Écoutez l’extrait que nous vous proposons, joué par le tromboniste John Kenny, et imaginez un peu l’impression que pouvait donner sur l’ennemi une armée qui arrivait accompagnée d’un orchestre de ce type : intimidation assurée !
On comprend mieux les Romains qui, malgré leur organisation sans faille et leurs succès militaires, restaient très impressionnés par l’arrivée des troupes celtes. Cet instrument étrange les a tellement marqués, qu’il est devenu l’un des insignes avec lesquels les Romains représentaient les Gaulois, avec les boucliers et les torques !
6. Jouer les grandes eaux
On ne le dira jamais assez : ils sont fous, ces Romains !
Inventé en Grèce au IIIe s. av. J.-C. mais surtout diffusé à Rome à partir du Ier s. av. J.-C., voici l’orgue hydraulique ! Attention au contresens toutefois : s’il s’agit bien d’un orgue dont le mécanisme fonctionne avec de l’eau, ce n’est pas l’eau qui produit la musique : comme tous les orgues, c’est un instrument à vent. L’eau fait partie de la machinerie actionnant les bouches d’air. Le musicien joue ensuite sur une sorte de clavier.
Il doit rester debout car le réservoir à eau et les pompes occupent toute l’imposante caisse verticale de l’instrument, sous les orgues. Deux leviers de chaque côté de ce coffre-réservoir permettaient d’actionner les pompes, ce qui nécessitait de l’aide à un moment donné.
Est-il franchement possible de concevoir un instrument aussi compliqué ?
De l’avis de Cicéron, qui écrit vers 45 av. J.-C., écouter de l’orgue fait pourtant partie des grands plaisirs de la vie !
Il semble s’agir d’un instrument profane, que la littérature et l’iconographie font apparaître dans des contextes très divers.
Il accompagne des fêtes privées, des spectacles publics, des cortèges funéraires ou des cérémonies impériales.
On en jouait même pour accompagner les combats de gladiateurs, peut-être pour jouer des formes de marches funèbres, quelle délicate attention !
Ah, toujours ce bon goût des Romains !
Quant aux sons produits par la chose, ils évoquent un peu un ensemble de flûtes … mais écoutez plutôt et jugez par vous-même.
On rappellera tout de même que si l’on connaît de nombreux instruments antiques grecs et romains, on ne connaît aucune pièce musicale longue et complète.
Compte tenu des scènes de danse et de musique que l’on voit très bien sur les mosaïques, les fresques et les bas-reliefs, on comprend simplement qu’il ne faut pas imaginer de la musique symphonique telle qu’on la connaît de nos jours… ni même de la musique moderne sous quelque forme que ce soit.
Écoutez de l'orgue hydraulique :
7. Le serpent, instrument éphémère
En bonus, après ces 7 cas très anciens, voici pour finir un instrument de musique qui n’a pas été découvert sur un chantier archéologique et dont il reste de nombreux éléments encore en circulation.
Pourquoi l’intégrer à ce panorama, dans ce cas ? Simplement parce que cet instrument très original n’est plus du tout utilisé, et a en outre connu une durée de vie très brève. On vous explique pourquoi !
Le serpent, qui doit son nom à sa forme tout à fait étonnante, n’est pas un instrument archaïque venu du bout du monde, mais une création récente dans l’histoire de la musique : il aurait été inventé à Auxerre, vers 1590, par le chanoine Edmé Guillaume.
Ce clerc mélomane devait en avoir assez d’entendre, à l’église, les chants grégoriens massacrés par des chœurs aux harmoniques approximatives.
Il inventa donc cet instrument possédant l’étonnante propriété de compléter les registres de voix qui manquaient habituellement aux chœurs d’hommes.
Le serpent est un peu le botox de la musique liturgique de l’époque moderne, en somme : un produit de comblement.
En association avec les chœurs, le son du serpent remplit les vides laissés par les voix un peu creuses et amplifie donc la portée du chant général, sans pour autant que l’on distingue clairement sa partie.
Malgré ses qualités, l’instrument tombe en désuétude au milieu du XIXe s., avec l’évolution de la musique liturgique. Il a été redécouvert il y a une vingtaine d’années, et de belles adaptations de musique baroque, classique et jazz lui sont consacrées.
Écoutez le serpent (adaptation d'une sonate du XVIIIe s.) :
Tout savoir sur le serpent :