Vestiges de l'amour...
Raconté pour vous par Cécile, le 10 février 2021 - temps de lecture : 5 mn
Ah l’Amoûûûûr ! Cette année, je trouve personnellement le battage marketing de la Saint-Valentin nettement moins envahissant que d’autres fois… La faute au Covid et au confinement sans doute.
Cette fête, dont l’intention reste romantique en dépit de la forme très mercantile qu’elle prend de nos jours, met à l’honneur l’attachement amoureux.
Cette noble inclinaison du corps et de l’esprit paraît bien impalpable à l’archéologue : que pourrait-il rester d’un sentiment ?
Il en persiste évidemment tous les témoignages matériels que les amoureux ont pris soin de laisser comme démonstration de leur amour et qui ont traversés les siècles jusqu’à nous. Des vestiges les plus monumentaux aux gestes d’affection éternelle figés pour l’éternité…
Voici notre sélection de vestiges archéologiques liés à l’amour et aux amoureux.
1. Un très très vieil amour ...
Parmi les vestiges les plus touchants que l’on met au jour en archéologie figurent évidemment les squelettes (regardez notre vidéo « Comment fait-on parler les squelettes ? »). La découverte d’une sépulture n’est jamais anodine. Le dégagement progressif de chaque os, jusqu’à comprendre la position complète du corps, met parfois en lumière des gestes émouvants.
C’est le cas de la tombe double de Valdaro (près de Mantoue, Italie). Il y a environ 5 500 ans, un couple de jeunes gens a été inhumé dans la même sépulture. Il s’agit d’un homme et d’une femme de 20-22 ans, déposés face à face, sur le côté, les jambes repliées. Ils étaient serrés l’un contre l’autre, leurs membres (bras et jambes) entrelacés, et leurs visages se touchant presque, les yeux dans les yeux pour l’éternité.
Les circonstances de leur mort simultanée ne sont pas connues. Même si plusieurs lames de poignards et une pointe de flèche ont été retrouvées à côté des corps, ce ne sont pas les armes qui les ont tués, mais des offrandes funéraires.
Les tombes collectives sont fréquentes au Néolithique (voir notre vidéo « La naissance de la guerre »), mais il est très rare de découvrir un couple, aussi étroitement enlacé de surcroît.
Du fait de la grande émotion qui se dégage du duo, la sépulture a été extraite du sol en bloc, sans que les squelettes aient été prélevés, et se trouve maintenant exposée au musée archéologique de Mantoue sous le nom de « gli amanti di Valdaro » (les amants de Valdaro).
2. Corps et âme : des dieux pour les amoureux
La très expressive statuette en terre cuite du sanctuaire antique de Kharayeb (Tyr, Liban – IVe-Ier s. av. J.-C.) sera l’occasion de présenter un couple de divinités grecques célèbres : Éros et Psyché, les amoureux par excellence.
Notre petite statuette représente un couple s’embrassant avec tendresse et passion. La femme, Psyché donc, le sujet le plus petit, est bien reconnaissable à son chignon. Elle sert par la taille son compagnon, le dieu Éros, qui lui caresse la joue. La tête penchée du jeune homme est enveloppée d’un capuchon, comme pour mieux s’isoler dans leur baiser.
La reconnaissance des deux dieux n’est pas évidente mais découle du contexte de découverte : un sanctuaire très fréquenté dédié à des dieux familiers, que l’on honorait en faisant cadeau comme offrande des statuettes de terre cuite… dont celle d’Éros et Psyché. Des différents thèmes mis en scène par les quelques 8 000 statuettes découvertes, on comprend que les populations recherchaient la protection de leur santé, de leurs affaires, de leur famille … et de leurs amours.
Les statuettes de Kharayeb (des femmes enceintes, des patriarches, mais surtout des enfants dans des activités diverses) représentent des situations émotionnelles plus que des personnages. Ainsi nos deux divinités incarnent la douceur amoureuse, associant beauté du corps, désir charnel (Éros), et beauté de l’âme (Psyché signifie « âme », « esprit », « souffle de vie » en grec).
Un bien bel idéal !
3. Ça tourne au vinaigre à Modène !
Une seconde sépulture, de la fin de l’Antiquité romaine cette fois (IV-Ve s.), a retenu mon attention : celle des « amants de Modène » (Italie). Enterrés dans une tombe double, à Ciro Menotti, l’une des nécropoles de la ville, les deux défunts, allongés côte à côte, présentent la particularité de se tenir par la main. Cette situation touchante n’est pas fréquente, mais est connue pour le monde romain. Abritant toujours un homme et une femme, il est couramment admis que ces tombes doubles sont celles d’amoureux, de couples mariés, ou éventuellement d’un frère et d’une sœur.
La spécificité des « amants de Modène », c’est qu’il s’agit de deux hommes, d’âge similaire. Le fait qu’ils se tiennent par la main montre un lien très fort entre les deux, admis dans leur vie comme dans leur mort, puisqu’ils ont été disposés ainsi par des vivants, souhaitant mettre en valeur jusque dans leur tombe la force des sentiments qui les unissaient.
De quoi sont morts ces deux hommes si proches ? Le fait qu’un grand nombre de squelettes de la nécropole de Ciro Menotti portent des traces de blessures violentes pourrait montrer que de nombreux guerriers ont été enterrés là. Ces deux hommes sont-ils morts au combat ? C’est possible… La nature de leur relation n’est pas mieux établie, en réalité : on parle d’amants, mais il pourrait tout aussi bien s’agir de deux frères ou d’amis.
En cette période de Saint-Valentin, nous retiendrons pourtant l’hypothèse la plus romantique, celle de deux amoureux !
4. Le Khajurâho : sanctuaire de l'amour ?
Voici des édifices qui ont émoustillé plus d’un aventurier européen au XIXe s. : les fameux temples de Khajurâho, dans le centre/nord de l’Inde.
Cela ne vous évoque rien ? Mais si, forcément : ces centaines de sculptures érotiques courant tout le long des murs de temples immenses, vous voyez ? On appelle aussi le site « les temples du Kâma-Sûtra », c’est dire si bien des acrobaties sont représentées. Il paraît d’ailleurs que le Kâma-Sûtra est un livre couramment offert à la Saint-Valentin… L’ouvrage est en tout cas souvent illustré de groupes sculptés de Kajurâho.
Il y a cependant un gros malentendu sur ce sanctuaire hindouiste et jaïniste. Construit entre 950 et 1050, il n’est pas spécialement dédié à des divinités de l’amour charnel. Sur les 22 temples qui sont encore debout, les thèmes érotiques ne représentent que 10 % de l’ensemble des reliefs sculptés.
A l’échelle du sanctuaire, les sculptures illustrent majoritairement des récits historiques, la vie quotidienne des Hommes, ou composent des décors végétaux ou géométriques. Les scènes érotiques, qui ornent les étages supérieurs des temples et valorisent la félicité partagée, concernent des divinités, dont l’activité sexuelle était peut-être gage de prospérité sur terre.
Il n’en demeure pas moins que ces couples et groupes élaborent des combinaisons des plus explicites. Imaginez la stupeur, en 1838, du très puritain capitaine anglais T.S. Burt lorsqu’il atteignit enfin le sanctuaire à travers la jungle et tomba sur ces reliefs saisissants, ne laissant aucune part à une conception platonique des relations amoureuses ! De ces dires même, il resta vivement choqué de l’indécence de ce qu’il voyait et aussi pétrifié que les statues qu’il contemplait.
5. Romeo si Julieta
Cela veut tout simplement dire « Roméo et Juliette » en Roumain. Car c’est ainsi que l’on pourrait nommer le couple de défunts enterré, vers 1450, dans le cimetière médiéval de Cluj-Napoca, en Transylvanie. Comme les « amants de Modène », ils se tiennent tendrement par la main. Il s’agit cependant cette fois d’un homme et d’une femme, tous deux d’environ 30 ans. Les sépultures de ce type sont très rares pour la fin du Moyen Âge et évoquent immédiatement des amoureux.
Dans leur histoire, ce qui rappelle la tragédie de Roméo et Juliette, ce sont leurs conditions de décès bien tristes : l’homme est mort des suites d’une grave fracture à la hanche. Le squelette de sa compagne ne porte pas de trace de blessure, mais elle est cependant bien décédée en même temps que lui. N’est-il pas romantique d’imaginer qu’elle est morte de chagrin, le cœur brisé par la perte de l’être qui lui était si cher ?
L’amour au Moyen Âge ne se limite toutefois pas à des histoires aussi déchirantes que celle de ces deux défunts. De nombreuses miniatures des XIIIe-XVe s. mettent ainsi en scène des comportements amoureux nettement plus délurés que ceux de Roméo et Juliette !
6. Qu'offrir à la Saint-Valentin ? objets réels ou fantasmés
Reste enfin la question à 100 € : que peut-on offrir à son Valentin ou sa Valentine ?
Nous vous proposons deux alternatives originales (et de très bon goût), en fonction de votre sensibilité personnelle aux sirènes de l’affreux démon de la jalousie.
Pour les ultra-jaloux, la fameuse ceinture de chasteté, objet tout à fait imaginaire qui n’a jamais été porté par aucune dame du Moyen Âge.
Il s’agit toutefois d’une véritable allégorie, qui date en effet de l’époque médiévale : une épouse appartient à son mari au point de pouvoir être fermée à clef, à l’aide d’une sorte de slip en métal pourvu d’un cadenas… mais l’Amour se joue des verrous, et la serrure (de son cœur, entre autre) s’ouvre pour l’amant de la belle ! La représentation en image de ces ceintures est un peu plus récente (XVIe-XVIIe s.) et met toujours en scène la même farce : un vieux barbon verrouille une ceinture de chasteté à la taille de son épouse et range la clef, immédiatement subtilisée par l’amant, à moins que l’amant en possède déjà un double.
Les exemplaires parfois visibles dans certains musées sont donc des faux ! Ils ont le plus souvent été fabriqués au XIXe s. pour faire croire à la réalité de cette étrange légende, qui en dit long sur le puritanisme et les obsessions refoulées de l'époque !
Le second objet est plutôt destiné aux partenaires qui n'ont pas de réticence à égayer leurs ébats à l'aide d'accessoires érotiques.
Oui, il s'agit cette fois d'un véritable artefact archéologique, vieux de plus de 2000 ans, directement issu du mobilier funéraire d’une tombe aristocratique chinoise de la dynastie Han, au IIe s. av. J.-C.
Vous ne rêvez pas, c’est bien un godemichet en bronze… ou plutôt deux, même, provenant de deux tombes différentes. Les phallus sculptés ne font pas partie du mobilier funéraire classique, mais on en trouve dans les sépultures de défunts des deux sexes. L’image parlant d’elle-même, tout commentaire serait superflu.
Nous remarquerons simplement que ces objets grandeur nature, en bronze mais aussi en jade, ne sont pas des amulettes protectrices. Ils ont véritablement servi d’articles érotiques, comme le montrent les systèmes d’attache (cordelettes, ceintures) encore conservés sur plusieurs exemplaires.
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