Archéologie du travail des enfants (1)

Raconté pour vous par Cécile, le 12 septembre 2020 - temps de lecture : 5 mn.

Seconde partie de notre article sur le travail des enfants dans les sociétés anciennes.

10 septembre 2020 : 7 enfants et ados de 10 à 16 dans un atelier textile à New Delhi, libérés par l'ONG Bachpan Bachao Andolan, fondée par Kailash Satyarthi, prix Nobel de la Paix en 2014 - Crédits : N. Bertrand, R. Pateriya, S. Yadav, pour France 2 / France Télévision. Reportage en ligne
Maud et Grace Daly, 5 et 3 ans, ramasseuses d'huîtres pour la Mississippi Oyster Company en 1911 - Crédits : Lewis W. Hine, Library Of Congress
Des enfants apprennent à s'occuper des chiens de chasse du seigneur. Gaston Phébus, le Livre de la Chasse, fin du XIVe s. Crédit : BnF, dans : dossier pédagogique "l'enfance au Moyen Âge".

7. Travail, apprentissage et insertion sociale

Selon notre perspective, la mise à contribution des enfants à la vie économique d’une cellule familiale ou d’une communauté témoigne de l’extrême dureté des conditions de vie. De nos jours en effet, faire travailler les enfants au lieu de les instruire, surtout avant 14 ans, leur ferme les portes d’une possible ascension sociale. En outre, le travail juvénile est souvent associé à un climat de grande violence : enfants menacés, enfermés, battus, affamés …

De fait, de nombreux témoignages contemporains comme historiques attestent cette terrible situation. Les premières enquêtes réalisées dans les pays européens en voie d’industrialisation, au XIXe s., au sein des filatures, manufactures de textiles, verreries et mines, sont particulièrement éloquentes. Elles alarmaient en particulier sur l’état de santé catastrophique des petits, épuisés et malnutris, travaillant à partir de 5 ans jusqu’à 16 h par jour. Ainsi, le taux de mortalité de cette tranche d’âge était énorme, par exemple de 12 % au Bénélux au tout début du XXe s., avant la Première Guerre Mondiale.

Les enfants mineurs au XIXe s. Un travail traumatisant pour le corps et l'esprit : remplir et tirer les wagonnets de minerai dans les plus étroits boyaux de la mine. Crédit : Amgueddfa Cymru, National Museum Wales.
1908, jeune mineur de la Turkey Knob Mine, en Virginie occidentale - Crédit : Library Of Congress

Toutefois, la situation ne peut pas être évaluée de la même manière pour les périodes anciennes. En premier lieu parce que les mutations considérables qu’a impliqué l’industrialisation du XIXe s. sur la structure de la famille et de la société a créé ce que les historiens appellent un « nouvel esclavage » pour les travailleurs, allant de pair avec un fort exode rural, une grande pauvreté, une absence d’éducation et aucune qualification, pour ces emplois tous nouveaux.

Ces conditions distinguent nettement les XIXe-XXe s. des périodes préindustrielles. On y retrouve pléthore d’enfants au travail, tant dans les champs que comme artisans ou domestiques, mais au sein de communautés plus stables dans lesquels l’apprentissage précoce d’une activité professionnelle n’était pas nécessairement vécu comme une violence. Ainsi les épitaphes des stèles funéraires romaines font apparaître le métier de l’enfant décédé comme une composante positive de sa personne, pas comme une peine.

Saint Éloi, orfèvre, et son apprenti. Troyes, vitrail de saint Éloi, église de la Madeleine; Crédit : Philippe Bon, BnF, dans : dossier pédagogique "l'enfance au Moyen Âge".
Un enfant aide les adultes à la tonte des moutons. Livre d'Heures, mois de juin, XVe s. - Crédits : BnF, dans : dossier pédagogique "l'enfance au Moyen Âge".
Des enfants tissent et préparent les filets de chasse. Gaston Phébus, le Livre de la Chasse, fin du XIVe s. Crédit : BnF, dans : dossier pédagogique "l'enfance au Moyen Âge".

8. L'apport de l'ethnologie

Les données ethnologiques rassemblées sur des sociétés préindustrielles peuvent venir enrichir cette réflexion.

Les enquêtes et enregistrements menées dans les années 1920-1940 chez les indiens Pueblos (Hopis et Zuñis) révèlent par exemple comment s’apprenait le métier de potier à la fin du XIXe s. et au début du XXe s. : les filles destinées à devenir potières observaient les adultes et tentaient de reproduire des vases à partir de 5 ans, jusqu’à ce qu’elles soient capables d’en fabriquer de corrects. A partir de 2 ans, les enfants étaient familiarisés avec l’argile, avec laquelle ils avaient le droit de jouer, avant d’aider, en grandissant, à le ramasser, le transporter et le préparer.

Bavardages à la rivière San Juan, 1905 - Crédits : Edward Sheriff Curtis, Smithonian American Art Museum
Poteries indiennes de la San Juan River (peuple Tewa), 1905 - Crédits : Edward Sheriff Curtis, Smithonian American Art Museum
Jeunes potières tewas du pueblo Santa Clara, Nouveau Mexique, 1916 - crédits : H T. Corey, National Archives Catalog

L’expérimentation, association d’observation et de reproduction de gestes, techniques et attitudes, est, semble-t-il, le tout premier mode d’apprentissage jamais développé par les communautés humaines, les enseignements théoriques n’apparaissant que très récemment dans l’Histoire. Dans les sociétés anciennes, l’expérimentation et la confrontation avec le monde professionnel adulte sont donc à la base de l’apprentissage.

Ce dernier n’est alors pas conçu comme une violence ou un pis-aller, mais comme un mode normal d’entrée progressive dans la société.

9. L'école comme autre choix... ou pas ?

De la Préhistoire à l’époque moderne, la vie des enfants était donc conditionnée dès leur plus jeune âge et peu semblent avoir eu voix au chapitre concernant leur avenir.

Ce schéma de vie ne se dessinait cependant pas nécessairement dans un climat de brutalité, même si les châtiments corporels étaient courants.

Le travail des enfants s’inscrivait plutôt dans des normes sociales.

École primaire à l'époque romaine : Le maître fait rentrer un élève en retard, debout avec son cartable, qui s'excuse de la main. Relief funéraire de Neumagen, vers 180 ap. J.-C.,Rheinisches Landesmuseum Trier - crédit : Shakko / CC BY-CA

Il ne s'opposait d'ailleurs pas nécessairement à l'éducation scolaire : au Moyen Âge en France, dès le XIIIe s., existait dans les campagnes un réseau de petites écoles, destinées aux enfants (autorisés par leurs parents) des différentes couches sociales. Les enfants, surtout les garçons, mais aussi une partie des filles, y apprenaient à lire, écrire et compter, dans la perspective, notamment, d'accéder aux métiers du commerce. Dans cette perspective, l'arithmétique, par exemple, n'était pas une mince affaire : les monnaies en usage, régionales, royales ou étrangères, étaient très nombreuses, et il fallait rapidement et sans erreur savoir les convertir, en tenant compte des taux de change !

Cette scolarisation, qui s'étalaient sur plusieurs années, n'était cependant pas exclusive : les enfants n'étaient écoliers, au mieux, que quelques heures dans la journée, et pas forcément toute l'année. Comme c'est encore souvent le cas de nos jours, ils passaient le reste du temps à travailler, avec leurs parents ou chez un patron. Du reste, tous les enfants d'une famille n'étaient pas envoyés à l'école : seuls s'y rendaient ceux pour qui les tuteurs estimaient qu'un tel complément d'apprentissage serait utile dans leur future activité.

Deux maîtresses accueillent des petits garçons à leur rentrée à l'école. Source : Valère Maxime, Livre des Vices et des Vertus, XVe s. - Crédits : BnF, dans : dossier pédagogique "l'enfance au Moyen Âge".
L'éducation des filles. Dans : Valère Maxime, XVe s. - Crédits : BnF, dans : dossier pédagogique "l'enfance au Moyen Âge".
Des méthodes pédagogiques peu appréciées des enfants ... Source : Gossouin de Metz, Image du monde, XIVe s. ; Crédits : BnF, dans : dossier pédagogique "l'enfance au Moyen Âge".

Toutefois, ces écoles n'ont pas toujours existé et n'ont pas non plus été systématiquement fréquentées. Ainsi, pour beaucoup d'enfants dans le passé, le travail précoce apparaissait comme une solution évidente, indépendamment même du niveau de vie des parents ou tuteurs, comme le montre le cas des mineurs de Hallstatt.

Finalement, offrir une formation à l’enfant paraissait aux adultes la meilleure chose à faire, même si les formes et conditions de ces apprentissages précoces seraient de nos jours inacceptables.

Un enfant aide son père à récolter les oignons, XVe s. - Source : Albucacis, Tacuinum sanitatis ; crédit : BnF, dans : dossier pédagogique "l'enfance au Moyen Âge".
A coup de pinces chauffées à blanc : une bagarre entre apprentis orfèvres ! 2e moitié du XVe s. - Crédits: Maître du Cabinet d'Amsterdam ; BnF, dans : dossier pédagogique "l'enfance au Moyen Âge".
Un enfant débrouillard, "Matthaus à 9 ans et 4 mois". Résumé de l'épisode : En 1506, lassé de son précepteur trop cruel, Matthaus (chapeau noir) s'enfuit et survit en mendiant son pain (arrière plan) et en marchandant avec les bergers (premier plan) pour qu'ils le laissent garder les troupeaux de vaches à leur place, début du XVIe s. Source : Matthaus Schwartz, Livre des costumes ; crédit : BnF, dans : dossier pédagogique "l'enfance au Moyen Âge".

Pour aller plus loin :

La situation sanitaire des enfants du Bénélux entre 1900 et 1909 :
- Vandenhoecke C., van Poppel F., Van der Woude A. M. 1984 : Le développement séculaire de la mortalité aux jeunes âges dans le territoire du Bénélux. Annales de démographie historique, 1983, p. 257-289. En ligne
Le travail des enfants, considérations historiques et sociologiques :
- Baxter J. E. 2008 : The archaeology of childhood, Annual Review of Anthropology, 2008, Vol. 37, p. 159-175. En ligne - Crown P. L. 2014 : The Archaeology of Crafts Learning: Becoming a Potter in the Puebloan Southwest. Annual Review of Anthropology, 2014, 46, p. 71-88. En ligne - Kamp K. A. 2001 : Where have all the children gone ? The Archaeology of Chilhood. Journal of Archaeological Method ans THeory, 2001, 8-1, p. 1-34. En ligne - Kamp K. A. 2001 : Prehistoric children Working and Playing: a Southwestern Case Study in Learning Ceramics. Journal of Anthopological Research, 2001, 57-4, p. 427-450. En ligne
Les petites écoles médiévales :
- Bretthauer I., Guyotjeannin O., Maneuvrier C. 2014 : Sur le chemin de l’école. Le réseau des petites écoles normandes du Moyen Âge à l’époque moderne, journée d'étude du centre Jean Mabillon, Ecole Nationale des Chartes, Paris, 2014 - Publication à paraître.

Découvrez également :

Voleuse ou meurtrière ?

Engagez-vous, qu'ils disaient !