Archéologie du travail des enfants (1)

Raconté pour vous par Cécile, le 04 septembre 2020 - temps de lecture : 5 mn.

Le travail des enfants dans les sociétés anciennes, et qui est encore d’actualité dans de nombreuses régions du monde, était très courant. De l'Egypte pharaonique au Moyen Âge européen, les sources mentionnent avec régularité des enfants au travail, parfois dès 3-4 ans.

Enfants de 5-6 ans au travail sur un chantier de construction, en Inde, en 2010 - Crédit : Daniel Berehulak / Getty Images
Harold Walker, 5 ans, cueilleur de coton dans l'Oklahoma en 1916 - Crédits : Lewis W. Hine, Library Of Congress
Une petite domestique laçant la sandale de sa maîtresse, sur une Pyxis d'Etrérie (Ve s.a v. J.-C.), British Museum, n° inv. 1874,0512.1 - Crédit : The Trustees of the British Museum / CC BY-NC-SA 4.0

Il est cependant très rare que des vestiges archéologiques viennent mettre en lumière ces activités, donnant plus de substance encore à cette pénible réalité. Or depuis le début des fouilles menées dans les célèbres mines de sel de Hallstatt, en Autriche, à la fin du XIXe s., de très petits éléments d’équipement sont régulièrement mis au jour. La spécificité de ces découvertes est que les vestiges datent de l’âge du Bronze et du début de l’âge du Fer.

1. Les enfants mineurs de Hallstatt

Les premières analyses, dans les années 1990, ont été menées sur de courtes sandales de cuir et un bonnet de laine et de cuir très étroit, ainsi que de petits pics de mineurs, ne pouvant pas avoir été portés par des adultes, même de petite taille.

Les traces d’usure spécifiques sur ces petites chaussures prouvaient aussi que leurs porteurs passaient beaucoup de temps à grimper échelles et escaliers, montrant que les enfants descendaient dans les étages inférieurs de la mine.


La chaussure d'un petit mineur de Hallstatt. La pièce mesure 22 cm, ce qui correspond à un pied d’environ 20,5 cm, soit une pointure 32-33, celle d’enfants entre 5 et 8 ans - Crédit : A. Rausch, NHM Vienna
Bonnet en cuir et laine des mineurs de Hallstatt - Crédit : D. Grobner et H. Reschreite, NHM Vienna - Museum Hallstatt
Petit pic en bronze et bois provenant des mines de Hallstatt, 44 cm, VIIIe-IIIe s. av. J.-C. - Crédit : Hallstatt Museum

Forts de ces premiers indices, les archéologues se sont ensuite intéressés, dans les années 2010, aux sépultures d’enfants de la nécropole voisine.

Quarante squelettes en bon état, d’enfants et adolescents, ont pu être examinés. Leur étude a mis en lumière d'importantes affections osseuses, ne pouvant découler que de la réalisation, sur un temps long, de mouvements contraints, répétitifs et dangereux : ceux d’un travail physique quotidien d’une extrême pénibilité. Ainsi, des enfants de 6 ans à peine souffraient d'arthrite du coude, du genou et de la colonne vertébrale. Plusieurs des sujets de l’échantillon étudié avaient souffert de très graves fractures, notamment sur le crâne. Enfin les vertèbres étaient prématurément usées ou comprimées sur tous les enfants et adolescents.

2. Quel travail pour les enfants dans ces mines ?

De l’avis des archéologues autrichiens, et par comparaison avec des exemples historiques plus récents et des situations actuelles, tous les enfants, en fonction de leur âge et de leur gabarit, n’étaient pas employés aux mêmes tâches dans la mine. En revanche, tous y allaient pour apprendre le métier de mineur, par l’observation des adultes expérimentés.

Leurs responsabilités dans la chaîne de travail augmentaient ainsi avec l’âge et l’expérience naissante. Les plus jeunes, dès 3 ou 4 ans, pouvaient aider à préparer, porter et allumer les torches nécessaires à l’éclairage des galeries. Vers 8 ans, ils pouvaient porter du matériel et explorer les filons et boyaux, déjà trop étroits pour des adolescents. Par comparaison avec la situation des enfants mineurs de France et d’Angleterre du début du XXe s., ils devaient être considérés comme des travailleurs formés à partir de 12-14 ans.

Un jeune enfant au travail, dans les mines de sel de Hallstatt, au tout début de l'âge du Fer. Crédit : NHM Vienna, Hans Reschreiter

3 . Niveau de vie et pénibilité du travail : le paradoxe de la mine de Hallstatt

L’étude des défunts de la nécropole de Hallstatt apporte aussi une conclusion très paradoxale à nos yeux contemporains, concernant les conditions de vie de ces populations en général, et des enfants en particulier : en dépit d’un travail éreintant effectué dès le plus jeune âge, les défunts étaient portés dans la tombe avec des offrandes et parures dénotant un niveau de vie aisé.

Cette situation semble d’autant plus contradictoire que le métier de mineur est synonyme, à nos yeux, de très grande pauvreté. Il est difficilement envisageable dans nos sociétés occidentales industrialisées d’imaginer un métier où l’extrême pénibilité physique et la grande dangerosité du travail seraient compensées par de hauts revenus. Pour ce qui concerne les métiers manuels, c’est généralement l’inverse qui ce produit.

Restitution des costumes de 3 jeunes mineurs de Hallstatt et leurs outils, au milieu de leur famille. Crédit : Ilja Slamar Scenomedia, pour Archäologische Forschung Hallstatt (blog), Naturhistorisches Museum Wien.

En fait, la question ne se pose pas en ces termes à l’âge du Bronze et au début de l’âge du Fer, dans les vallées encaissées et sauvages des Alpes autrichiennes : en effet, quelles qu'aient pu être les activités exercées par ces populations pour survivre (chasse, agriculture, pastoralisme, artisanat, commerce…), toutes étaient harassantes ! En revanche, le sel possédait une valeur énorme, et il apparaît que les richesses générées par son exploitation étaient plutôt bien réparties sur l’ensemble de la communauté… au prix toutefois de l’engagement de l’ensemble de ses forces de travail dans l’activité minière, y compris celle d’enfants de 6 ans.

Le + ArchéOdyssée

4. Travail et décès des enfants : une association pénible

Qu’est-ce qui est choquant dans le travail des enfants ? Il y a d’abord le fait que c’est, pour nous, un âge d’apprentissage scolaire, de jeux et d’insouciance. Les sociologues sont cependant nombreux à expliquer que cette notion est purement culturelle : confier des responsabilités s’apparentant à du travail (garder les troupeaux, faire les tâches ménagères, porter des charges, aider aux champs …) à des enfants à partir de 5 ans reste encore d’usage dans de très nombreux pays. Rappelons aussi qu’en France, le travail des personnes mineures n’a été encadré à l’échelle de l’ensemble du territoire qu’en 1841, lorsque la loi du 22 mars interdit le travail des enfants … de moins de 8 ans.

Toutefois, le plus choquant reste sans doute de considérer que la mort de ces petits actifs puisse être due à des accidents du travail.

Le jeune Neil Gallagher, 13 ans, ayant perdu une jambe dans un accident dans une mine de charbon en Pennsylvanie, photographié en 1909 - Crédits : Lewis W. Hine, Library Of Congress

Il est en réalité très rare de pouvoir lier directement, en archéologie, le décès d’un enfant à son activité professionnelle. Par exemple, nous ne savons pas de quoi sont morts les enfants de la nécropole de Hallstatt. Il serait délicat de lier trop rapidement conditions de travail et mortalité juvénile : si l’étude des ossements des 40 enfants de la nécropole de Hallstatt montre des traumas sévères durant leur vie, aucun d’entre eux n’a été clairement désigné comme cause de la mort des individus. En effet, indépendamment du cas particulier des mineurs de sel de Hallstatt, la mortalité juvénile (5-15 ans) était élevée dans les sociétés préindustrielles, et jusqu’à la moitié du XXe s. Les enfants mourraient donc de maladies, de faim, de froid, du fait des guerres et des violences quotidiennes, ainsi que d’accidents. Parmi ces derniers, il devait en effet y avoir des accidents du travail, mais leur proportion n’a pour le moment jamais pu être quantifiée, et ne pourra peut-être pas l’être avant très longtemps pour les périodes les plus anciennes.

5. Quelques enfants au travail, dans les sociétés anciennes

Les textes du Moyen Âge tardif et de l’époque moderne font occasionnellement mention de la mise au travail des enfants. Il ne s’agit pas de textes écrits pour déplorer la situation, mais essentiellement dactes notariés (contrats d’apprentissage en particulier) et règlements municipaux encadrant cette pratique. Dans l’Orléanais, au XVe s., les enfants, à partir de 6 ans, étaient placés en apprentissage chez des tisserands, foulons, potiers, couturiers, bouchers … Plus la situation familiale de l’enfant était précaire (familles pauvres, orphelins), plus les placements étaient précoces. En revanche, l’apprentissage d’un métier restait la norme pour tous à partir de 10-12 ans environ. Cette documentation ne comprend pas les enfants mis en apprentissage dans leur propre famille, dans la mesure où aucun contrat n’était alors nécessaire. Il en va exactement de même pour l’époque romaine.

Les documents les plus utilisés pour cette période sont les épitaphes des stèles funéraires. Ces courts textes, accompagnant une représentation du défunt, donnent a minima le nom, l’âge au décès et le métier (lorsqu’il y en a un) de l’enfant.

C’est ainsi que nous faisons la connaissance de Quartulus, un mineur de 4 ou 9 ans (l’âge est discuté par les spécialistes), mort dans les mines d’argent et de plomb de Jaén, en Andalousie. La sculpture sur sa stèle montre un enfant vêtu d’une tunique courte, portant dans la main droite son pic de mineur, dans la main gauche le panier dans lequel il chargeait le minerai.

Un touchant poème funéraire, écrit par une mère éplorée sur la stèle de son fils, nous fait aussi connaître C. Vettius Capitolinus, un brodeur de 13 ans, enfant libre, mort à Rome dans la seconde moitié du Ier s. / IIe s. ap. J.-C.

A la même période, une autre stèle parle encore du petit esclave Pagus, dont le métier était aurinetrixor, c'est-à-dire orfèvre spécialiste du travail de l’or, mort à Rome à l’âge de 12 ans et 9 mois, tandis que L. Anicius Felix était tailleur depuis l’âge de 4 ans.

La stèle funéraire du petit Avidius Felix, mort à 13 ans à Alba Fucens (Italie) figurait de chaque côté des représentations de ses outils de travail : un bâton court et rond, des forces (ciseaux pour tondre les moutons) ainsi qu’un peigne. L’adolescent semble avoir été cardeur de laine dans un atelier de filature.

Stèle d'Avicius Felix, face gauche. CIL IX, 04024 - Crédits : Epigraphik-Datenbank Clauss / Slaby, en ligne
Stèle d'Avicius Felix, texte. CIL IX, 04024 - Crédits : Epigraphik-Datenbank Clauss / Slaby, en ligne
Stèle d'Avicius Felix, face droite. CIL IX, 04024 - Crédits : Epigraphik-Datenbank Clauss / Slaby, en ligne

6. Archéologie et travail juvénile : des témoignages directs

L’archéologie fournit également des témoignages insolites de ce travail juvénile.

Ainsi, les impressions de toutes petites empreintes digitales présentes sur un grand nombre de céramiques médiévales ou antiques, provenant de plusieurs ateliers de potiers en Europe, montrent que les enfants participaient activement à la production.

L’archéologue lituanien Povilas Blaževičius, qui a travaillé sur l’identification des empreintes digitales des briques et tuiles provenant du château de Vilnius (XIIIe-XVIIe s.) estime l’âge des petits potiers entre 8 et 13 ans. Selon ses statistiques, les enfants auraient fabriqué plus de 10 % des terres cuites architecturales retrouvées sur le site.

Des enfants au travail sur le grand centre potier romain de Lezoux (Puy-de-Dôme), révélés par leurs empreintes digitales conservées dans la terre cuite des petits supports modelés (photo de gauche) servant à tenir dans le four les piles de pots mis à cuire - Lambert, Desmarais, Driard 2018 (référence en fin d'article)

Enfin, beaucoup plus loin encore dans le temps, l’archéologie a également livré des témoignages émouvants de la mise au travail des enfants.

L’analyse récente des dents de deux squelettes de petits enfants de 4 et 9 ans, morts il y a 3500-2500 ans dans le Sud de la France, a montré des abrasions intenses sur certaines quenottes, caractéristiques d’un travail d’assouplissement de tendons et de matières ligneuses végétales avec les dents, dans l’objectif d’en faire des liens. Ces pratiques, bien connues par l’ethnologie (par exemple chez les Inuits avec les tendons et les peaux de phoques), n’avaient encore jamais été relevées sur des enfants.

Il s’agit de la plus ancienne trace de mise au travail des enfants.

Abrasion dentaire sur une incisive d'enfant - Crédit : Mélie Le Roy, LAMPEA UMR 7269.

Cet article vous plaît ?

La suite la semaine prochaine !

Pour aller plus loin :

Revue de presse sur les mineurs du site de Hallstatt :
https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/archeologie/l-exploitation-des-enfants-dans-les-societes-du-passe_127816 (24 septembre 2018 : article le plus complet)https://www.discovermagazine.com/planet-earth/the-ancient-practice-of-child-labor-is-coming-to-light (22mai 2020)https://www.archaeology.org/news/6981-180919-child-labor-antiquityhttps://www.nature.com/articles/d41586-018-06747-w (18 septembre 2018)

Le travail de Lewis W. Hine sur les conditions de travail des enfants au début du XXe s. aux Etats-Unis : - Exposition sur L. W. Hine de la fondation Henri Cartier Bresson (Paris) : en ligne - Exposition de la collection de 106 photographies de L. W. Hine, au J. Paul Getty Museum : en ligne - "Labor Day History", article du Washington Post : en ligne
Sur le travail des enfants dans les sociétés antiques et médiévales, cinq références :
- Backe-Dahmen Annicka 2008 : Die Welt Der Kinder in Der Antike. Mainz : Zaberns Bildbände zur Archäologie, 144 p. (en bibliothèque spécialisée) - Bradley K. R., 1985 : Child Labour in the Roman world, Historical Reflections, 12-2, p. 311-330. (en bibliothèque spécialisée) - Laes Christian 2011 : Children in the Roman Empire. Cambridge : Cambridge University Press, 334 p. (en bibliothèque spécialisée)- Michaud-Frejaville Françoise : Les enfants au travail, contrats d'apprentissage en Orléanais (1380-1450). Dans : L’enfant au Moyen Âge. Aix-en-Provence : presses universitaires de Provence, 1980, p. 61-71. - Porena Pierfranscesco 2016 : Il lavoro infantile. Dans : Marcone A. (ed.) : Storia del lavoro in Italia. L'età Romana. Liberi, semiliberi e schiavi in una società premoderna. Roma 2016, p. 663-685 (en bibliothèque spécialisée ou sur Academia.edu)

Pour les plus acharnés :
les articles scientifiques dont sont issus les exemples archéologiques :- Pany-Kucera Doris, Kern Anton, Reschreiter Hans 2019 : Children in the mines? Tracing potential childhood labour in salt mines from the Early Iron Age in Hallstatt, Austria. Childhood in the Past, 2019, 12-2, p. 67-80. - Aurore Lambert, André Desmarais et Cyril Driard 2018 : Le site de la médiathèque Entre Dore et Allier à Lezoux (Puy-de-Dôme) : des traces papillaires antiques en contexte d’atelier de potiers. Gallia, 75, 2018, p. 49-67 - Leroy Mélie, Polet, Caroline 2019 : Children at Work: Looking for Evidence in Past Societies, Childhood in the Past, 2019, 12-2, p. 57-70.

Découvrez également :

Épées en bronze : le crash-test !

Le Top 10 des mosaïques romaines les plus étonnantes de France