Des visages pour l'éternité

5 Masques funéraires

Raconté pour vous par Cécile, le 17 mars 2023 - temps de lecture : 5 mn

Quand ? Les vestiges que nous présentons ont entre 3500 et 140 ans.

Où ? Égypte, Grèce, Mexique, Russie, France.

Vous avez forcément déjà vu un masque funéraire, même si vous l’avez pris pour un buste… Vous voyez de quel objet je parle ? Eh oui : le plus célèbre de tous, le masque mondialement connu du pharaon Toutânkhamon.

Restauration du masque au musée du Caire, en 2015 - © AFP,  pour Sciences & Avenir. Article en ligne de B. Arnaud "Toutankhamon usurpateur ! Le masque d'or ne lui était pas destiné", 30/11/2015.

Les anciens Égyptiens n’étaient pas les seuls à élaborer ce genre d’ornement pour leurs défunts. C’est le cas de nombreuses civilisations tout autour de la planète, et pas que dans une lointaine Antiquité : on en faisait en France jusqu'au XXe siècle !

Mais à quoi servaient-ils, ces masques, et comment étaient-ils faits ? Nous vous expliquons tout cela à travers 5 cas emblématiques.

Masques funéraires, masques mortuaires...

Il y a deux façons de donner un nouveau visage aux défunts, qui relèvent de deux pratiques bien différentes : soit l’on fabrique un masque funéraire, soit l’on produit un masque mortuaire.

Masque funéraire d'une égyptienne du Nouvel Empire, XIXe dynastie (1296-1786 av. notre ère) - © HVMC

Le premier n’est pas nécessairement conforme à la réalité : le masque funéraire, qui recouvre le visage ou toute la tête de l’inhumé, est avant tout une évocation de certaines caractéristiques de la personne qui met plutôt en avant le rôle social de l’individu, au détriment de la ressemblance physique, qui n’a quasiment pas d’importance. 

Le masque mortuaire de la peintre et modèle Suzanne Valadon, décédée en 1938, à 72 ans - © Bertrand Prévost - Centre Pompidou, MNAM-CCI / Dist. RMN-GP 

Le masque mortuaire, au contraire, est une reproduction d’autant plus fidèle des traits du défunt qu’il est produit à partir du moulage de son visage, au plâtre ou à l'argile, mais le résultat n’est, en fait, pas un masque à proprement parler, puisque l’objet final ne recouvre pas la tête du défunt dans sa tombe. On obtient au contraire une réplique en 3D de l’individu sur son lit de mort.

L’objectif n’est pas le même : les masques funéraires représentent une version idéalisée du défunt et n’avaient pas vocation à sortir de la tombe. C’était le visage présenté aux divinités de l’Au-delà, loin du monde et du souvenir des Hommes. 

A l’inverse, le masque mortuaire a ceci d’extrêmement déroutant qu’il est non seulement ultra réaliste, mais qu’il est fait pour être exposé aux yeux de tous, comme une veillée funèbre éternelle. Il porte un double message : c’est à la fois une manière de faire durer la mémoire de la personne défunte et une façon de rappeler aux vivants que la vie est brève. En somme, la mort est pour tout le monde, même les grands artistes ou les hommes politiques qui ont marqué leur temps… mais grâce à ces portraits saisissants, la disparition physique des défunts est comme repoussée.

Quelle image conserver de l'être cher disparu ? Suzanne Valadon dans les années 1880, dessinée par T. Steinlen - © Théophile Steinlen / Public domain, au musée de Vernon.
Étonné d'avoir été redécouvert ? Masque funéraire de la culture Alamito-Condorhuasi (Argentine), vers  500 avant J.-C. /500 après J.-C. Pierre dure patinée, avec trous de fixation - © MET Museum / CC0

Dans les périodes anciennes de l’Histoire, ce sont plutôt des masques funéraires qui sont élaborés. C’est pourquoi on les retrouve dans les sépultures, à l’emplacement de la tête du défunt, et qu'ils présentent parfois des liens ou des perforations permettant de les accrocher.

S’ils sont souvent associés aux momies dans l’imaginaire collectif, c’est tout simplement que les mieux conservés que l’on connaisse, sur toute la planète, proviennent d’environnements propices à la conservation des matières organiques… dont les corps humains, qu'ils aient subi un processus d'embaumement ou non. Certains masques recouvrent donc des momies naturelles. 

La plupart ne sont toutefois associés qu'à des restes osseux et, parfois, on ne retrouve rien d'autre que le mobilier funéraire non putrescible. Il ne reste plus du mort que son masque et les objets qui l'accompagnaient.

1. Le masque d'or de Toutânkhamon (Égypte)

Impossible de ne pas commencer ce tour d’horizon sans le masque funéraire de Toutânkhamon ! Que peut-on en dire qui n’a pas déjà été dit ? Fait de deux plaques d’or assemblées, finement ciselé et recouvert de pierres précieuses, c’est avant tout un chef d’œuvre d’orfèvrerie, de plus de 10 kg. Mais l’objet constitue aussi une excellente illustration du fait que les masques funéraires interprètent le rôle social du défunt, car le pauvre pharaon, mort à 18 ou 19 ans, vers 1327 av. notre ère, n’avait pas du tout les traits pleins et détendus et le regard hiératique de la magnifique figure d’or. 

Le masque de Toutankhamon, exposé au musée du Caire - © Roland Unger / CC BY-SA
Reconstruction du visage du pharaon Toutânkhamon - © Conseil supérieur des antiquités égyptiennes / The SCA  

La reconstitution effectuée à partir de sa momie, en utilisant les méthodes de la médecine criminelle, révèle un visage bien différent, pour le moins commun et anonyme. La preuve que cela n’avait vraiment aucune importance ? Initialement, ce masque n’avait même pas été fait pour le jeune homme : un cartouche à moitié effacé sous celui de Toutânkhamon montre qu’il avait été créé pour quelqu’un d’autre, probablement sa sœur. 

2. Le "masque d'Agamemnon" (Grèce)

Le masque dit d'Agamemnon, provenant de la tombe 5 du cercle A de Mycènes, au musée national archéologique d'Athènes - © Die Buche / CC BY-SA

Quelque 200 ans avant Toutânkhamon, c’est un autre roi qui a été enterré avec un extraordinaire masque d’or, à Mycènes, vers 1550 av. notre ère. S’agissait-il vraiment du légendaire Agamemnon, le roi mythique de l’Iliade ? Eh non, rien ne le désigne comme tel et les époques ne correspondent pas, mais finalement, peu importe.

Que nous apprend ce masque des coutumes funéraires des Mycéniens ? Que leurs chefs étaient accompagnés dans la tombe par ces très beaux objets, faits de feuilles d’or travaillées au repoussé, dont 5 exemplaires sont connus. Contrairement aux masques égyptiens, un certain souci de la réalité semble avoir été pris en compte. En effet, les spécimens ne se ressemblent pas et comportent certaines caractéristiques particulières (pilosité, forme du visage et des yeux). 

Un masque de la tombe 4, musée national archéologique d'Athènes - © Giovanni dall'Orto / CCO
Un masque de la tombe 5, musée national archéologique d'Athènes - © Giovanni dall'Orto / CCO
Un masque de la tombe 4, musée national archéologique d'Athènes - © NAMA / CCO

Le masque dit d’Agamemnon est le plus fin et le plus travaillé. Certains pensent qu’il aurait été retouché au moment de sa découverte, en 1876, pour lui donner davantage d’intérêt… Il est vrai d’Heinrich Schliemann, le découvreur, n’était pas réputé pour son intégrité scientifique. Apprécions, quoi qu’il en soit, la pureté du travail des orfèvres, sur ce masque comme sur ceux provenant des autres tombes princières mises au jour sur le site.

On oublie par ailleurs souvent que les masques n’étaient pas les seules parures en or des défunts ! Bijoux, coupes, armes, plaques pectorales, diadèmes… le mobilier funéraire était extraordinaire. Le corps d’une fillette, âgée quelques mois, était même entièrement recouvert de feuilles d’or.

Parure complète de feuilles d'or qui recouvrait le corps d'un bébé, tombe 3,  musée national archéologique d'Athènes - © Jerónimo Roure Pérez / Public domain

3. Le masque de jade de Pakal le Grand (Mexique)

 Le masque de jade de Pakal 1er, roi de Palenque, et ses ensembles de colliers, boucles d'oreille et amulette (dans la bouche), musée de Mexico - © Wolfgang Sauber / CC BY-SA

Le masque du roi maya K'inich Janaab' Pakal Ier, mort en 680 de notre ère à Palenque, est d’un tout autre type. Il n’est pas en or, mais en toutes petites plaquettes de jade, façonnées et agencées comme un puzzle en relief pour reproduire le visage du souverain. Le blanc des yeux est en coquille et la pupille en obsidienne. Comme les précédents, le masque n’a pas été fabriqué sur le visage du mort, mais pendant sa vie. Il fallait des semaines pour créer une telle œuvre d’art (des mois de travail pour les masques et autres parures des pharaons égyptiens) et il n’était évidemment pas question d’attendre la mort du roi pour s’y mettre !

Dans les croyances mayas, le masque de jade, en assurant la survivance de l’image du souverain, lui permettait d’accéder à l’inframonde, le monde des ancêtres, avec un statut de divinité, porté par la nature des pierres du masque : le jade et l’hématite, mais aussi la nacre, sont des matériaux sacrés, réfléchissants, associés aux dieux. 

La dépouille de Pakal 1er était aussi ornée d’épais colliers, de bracelets et d’amulettes en jade.

4. Les masques des Tashkyts (Russie)

Quoique moins précieux, les plus étonnants de tous les masques funéraires restent ceux des momies naturelles du peuple tashtyk, qui vivait dans une partie de la Sibérie, au début de l’ère chrétienne (très grossièrement entre le Ier et le Ve siècle).  Bien que cette civilisation ait été découverte il y a plus de 100 ans, on ne sait toujours pas très bien qui sont les Tashkyts. La nécropole d’Oglakhti, près de la ville d’Abakan, est un site majeur pour leur compréhension.

© Musée de l'Ermitage, pour Sciences & Avenir. Article en ligne de B. Arnaud "Les fascinants masques mortuaires Tashkyt", 12/01/2021.
Masque tashtyk épousant la tête du défunt - © Musée de l'Ermitage, cliché Vladimir Terebenin, dans l'article en ligne de J. Urbanus "Face off", février 2021, Archaeology.org

L’une des spécificités, sur cette nécropole très riche, est l’observation d’un rite funéraire original : les figures des défunts étaient recouvertes d’un masque d’argile blanche directement moulé sur leur visage, reproduisant fidèlement leur physionomie. Une fois sec, les masques n’étaient pas ôtés mais lissés et peints, reproduisant peut-être les ornements faciaux des vivants. 

Musée de l'Ermitage, Saint-Petersbourg - © Joanbanjo / CC BY-SA

Ces portraits sont très troublants, car contrairement aux masques funéraires précédemment évoqués, ils sont absolument réalistes : nous n’avons plus sous les yeux des objets archéologiques, ni même des œuvres d’art, mais des gens, tous différents. La techniques et à mi-chemin entre masque funéraire et masque mortuaire.

Morts il y a quelques 1300 ans au bout de l’Eurasie, ils nous semblent curieusement proches. Les yeux fermés, la bouche détendue, ils paraissent dormir.

5. Les masques mortuaires des grands hommes (France)

Le masque funéraire de Victor Hugo, moulé le 23 mai 1885, musée de la ville de Paris - © Paris Musées / CC0

Napoléon 1er (mort en 1821) et Victor Hugo (mort en 1885) n’auraient sans doute pas été très amis s’ils s’étaient connus, mais ils partagent pourtant un point commun : leurs visages ont tous deux été moulés sur leur lit de mort, pour être reproduits et présentés ensuite dans des espaces publics, quasiment comme on exposerait des reliques sacrées. 

Très en vogue au XIXe siècle et jusqu’au milieu du XXe siècle, cette pratique plutôt glauque a accompagné, à partir de la fin du XIXe siècle, la création d’un idéal républicain, à la fois politique et culturel. Adolphe Thiers, Léon Gambetta, Jean Jaurès, Georges Clémenceau et bien d'autres... Ils ont tous leur masque !

Cette étrange tradition, qui remonte au Moyen Âge, a fini par passer de mode, surtout depuis que la photographie permet de conserver des images des êtres chers à toutes les époques de leurs vies, et ainsi de raviver leur souvenir dans des situations nettement plus avantageuses pour eux, et moins macabres pour nous, qu’au moment de leur dernier souffle. 

Conclusion

Attention, la sensation que l’on a devant un masque mortuaire est très différente de celle que l’on éprouve devant un masque funéraire ! De fait, il est très étrange de se retrouver, en quelque sorte, face au « vrai » Napoléon 1er. Bien plus que devant un tableau ou une photographie, ces reproductions créent effectivement une sorte de proximité avec la personne disparue, notamment parce que le portrait n’est pas arrangé (flouté, idéalisé…). 

On peut être dérouté, mal à l’aise, dégoûté, horrifié, mais l’un des objectifs est atteint : on est troublé par ce que l’on voit. Si vous vous en sentez l’envie, vous pouvez faire l’expérience de cette confrontation sans difficulté : il y a des masques mortuaires dans de nombreux musées de France. Même face à quelqu’un dont on n’a jamais entendu parler, vous verrez que ce n’est pas du tout la même chose que d’admirer un masque égyptien !

Masque funéraire de Napoléon 1er, exemplaire du Musée Carnavalet, Paris - © Coyau / Wikimedia Commons 

Et vous n'avez pas tout lu ! 

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