Les mystérieuses momies du Xinjiang 1/2
Une population caucasienne si loin à l'Est de l'Asie ?
Raconté pour vous par Cécile, le 04 décembre 2022 - temps de lecture : 5 mn
Quand ? Il y a entre 4 000 et 2 000 ans - Où ? Chine
Détour très exotique cette semaine très loin vers l’Est, dans les immensités de l’Asie centrale, aux confins nord-ouest de la Chine, au cœur de l’effrayant désert du Taklamakan, l’un des plus aride de la planète… et pourtant le berceau d’une énigmatique culture, vieille de plus de 4 000 ans : celle du bassin du Tarim.
Cela ne vous dit rien ? Les photos des habitants du Taklamakan de l’âge du Bronze ont pourtant fait le tour du monde. En effet, on ne sait encore presque rien de l’histoire de ce peuple, mais on connaît personnellement, paradoxalement, plusieurs centaines de personnes parmi la population.
Pour cause : cette culture est surtout connue par ses nécropoles, qui abritent des momies naturelles extraordinairement conservées et parmi les plus étudiées depuis 20 ans.
1. De quoi s'agit-il ?
Les premières mentions en Europe de ces momies si particulières remontent au début du XXe s. et aux voyages de différents explorateurs et archéologues hongrois et suédois dans le Taklamakan. Dès 1946, un véritable chantier archéologique est organisé sur une première nécropole, celle de Xiaohe. Au milieu des dunes, l’archéologue F. Bergman fouilla une douzaine de tombes abritant des corps naturellement momifiés par des conditions climatiques extraordinairement arides, qui ont permis la conservation quasi parfaite des tissus organiques humains, mais aussi des sépultures de bois, des vêtements, des parures et des offrandes.
Ces découvertes sont restées plutôt confidentielles en Europe jusqu’aux années 1990, quand les collaborations scientifiques ont à nouveau été autorisées entre la Chine et les pays étrangers. A l’heure actuelle, de nombreux sites, souvent funéraires, ont été fouillés, dont la spectaculaire nécropole de Xiaohe et la ville perdue de Djoumboulak Koum.
La majorité des sites se trouvent dans la partie nord-est du bassin du Tarim (la grande zone géographique qui englobe le Taklamakan).
2. Pourquoi ces momies ont interpelé les scientifiques ?
Des leurs premières découvertes, en 1898, il avait été noté que les individus présentaient des traits inhabituels pour des Asiatiques de l'Est du continent : cheveux clairs (roux ou châtain), nez longs, peau très claire. Leurs vêtements et traditions funéraires étaient également inconnus.
L’extraordinaire état de conservation du site a en fait posé trois grandes colles aux archéologues du XXe s. :
De quand dataient-ces momies, dans la mesure où tous les défunts avaient l’air d’avoir été inhumés quelques mois auparavant ? Est-ce que tous les cimetières étaient contemporains ?
D’où venaient ces populations qui semblaient non asiatiques ?
De quoi vivaient-elles dans cette région désertique ?
Sur la base de ces questionnements, c’est toute l’histoire des peuplements de l’Asie centrale et de leurs mouvements qui se précisait. L’attention des chercheurs s’est en particulier focalisée, durant plus de 100 ans, sur la question de l’existence d’une population « caucasienne » au cœur de l’Asie et sur ses origines.
3. Un (tout) petit peu d'histoire et de géographie...
Une rapide mise à jour s’impose avant de poursuivre. Car de la Mongolie à la mer d’Azov, du Caucase à l’Indou Kush et l’Oural, ces immenses étendues d’Asie centrale nous restent bien mal connues. Pour être honnête, sur l’ensemble de l’histoire de cette région vaste comme 2 fois l’Europe, seuls quelques noms nous sont familiers (Genghis Khan et Tamerlan, la Route de la Soie, le désert de Gobi, le peuple disparu des Tatars…), mais de là à savoir les placer sur une carte ou dans une chronologie fine, il y a un grand pas !
En schématisant, disons qu’il n’est pas faux de se représenter l’Asie centrale comme un espace géographique aride et montagneux, peu peuplé et peu boisé, aux paysages spectaculaires et au climat continental à désertique très rude.
Depuis 10 000 ans, et jusqu’à la seconde moitié du XIXe s. environ, les différentes populations installées là suivaient des modes de vie agro-pastoraux, plutôt nomades, bien adaptés à cet environnement particulier.
De religions et d’origines géographiques variées, ces cultures très mobiles dans l’espace se construisaient, se métissaient, s’opposaient et évoluaient au gré des contacts et des guerres entre les immenses royaumes dont elles faisaient partie, et dont les noms et territoires de certains États contemporains sont les héritiers : le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Tadjikistan et le Kirghizistan.
La région du bassin du Tarim, quant à elle, est actuellement en Chine, dans la province autonome du Xinjiang. C’est un ancien bassin fluvial entouré de montagnes, aux limites bordées d’oasis, tandis que le centre est occupé par le désert du Taklamakan. Ça n’en a pas l’air, mais le bassin du Tarim est grand comme la France.
C’est le territoire ancestral des Ouïghours, qui fait actuellement l’objet de nos jours de dramatiques persécutions. Les Ouïghours ont une histoire caractéristique de celles des populations de la région : nomades à l’origine, ils se sont déplacés depuis les alentours du lac Baïkal et du nord de la Mongolie, au gré de leurs alliances et de leurs conflits, pendant plus de 1 000 ans, avec les peuples voisins, au premier rang desquels les Mongols et les Chinois.
Alors existe-t-il des liens entre les Ouïghours actuels et les populations archéologiques mises au jour dans l'Est du Tarim ? D'où venaient-elles et comment vivaient-elles dans le désert ?
C'est ce que l'on verra la semaine prochaine !