Voleuse ou meurtrière ?

Raconté pour vous par Cécile, le 26 mai 2020 - temps de lecture : 4 mn

Crédits photographiques : Orléans Métropole / La République du CentreLe 1er individu avait été agenouillé dans un trou. Prise depuis le sommet de la fosse, la photo permet de bien distinguer les genoux repliés sous le buste et les mains liées dans le dos. Le crâne, manquant sur l’image, avait déjà été prélevé par les archéologues.

Enterrée vivante

au Moyen Âge


Trois squelettes de femmes, complets et parfaitement conservés, ont été découverts à Orléans dans une position tout à fait inhabituelle : les corps étaient agenouillés ou assis, dans des trous circulaires d’environ 80 cm de profondeur, les mains attachées dans le dos.

Le squelette à genoux avait le buste relevé. La particularité de cette position est qu’elle est impossible à faire tenir à un corps défunt : cette malheureuse a été enterrée vivante, au cours du Moyen Âge.




Les trois corps n’étaient pas dans un cimetière, mais enterrés le long de la route de Châteaudun, au nord-ouest de la ville médiévale.

Aucune trace de fracture ou d’entaille ayant pu entraîner la mort n’a été découverte sur les os.

Où ? A Orléans, rue Porte Saint-Jean – Quand ? Sept.-Oct. 2019 – Par qui ? Orléans Métropole, pôle archéologie

Le + ArchéOdyssée

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Une peine capitale terrible

Le corps de la femme à genoux présente toutes les caractéristiques d’un type de peine capitale en vigueur en France jusqu’à la fin du XVe s. : l’enfouissement. Essentiellement – mais pas exclusivement – réservée aux femmes voleuses ou meurtrières, cette condamnation terrible est décrite dans les textes judiciaires du Moyen Âge.

Les infortunés étaient amenés devant une fosse et devaient faire un aveu public de leur crime. Le bourreau leur liait ensuite les bras et les pieds et les poussait dans le trou. Il rebouchait enfin en finissant par la tête, puis tassait énergiquement la terre, afin d’étouffer au plus vite le condamné enfoui.

L’enfouissement d’Anne van den Hoven à Bruxelles, en 1597.Gravure du XVIIe s. de Jan Luyken.Source : Rijskmuseum, documentation en ligne.

Les mises à mort par enfouissement étaient encore pratiquées après le Moyen Âge dans de nombreux pays, comme on le voit ci-dessus sur cette gravure relatant une condamnation en Belgique, en 1597. La tête encore hors du sol, la condamnée entend ses chefs d’accusation et confesse ses crimes, tandis que le bourreau comble la fosse. Comme c’était habituellement le cas en France, la jeune femme est enterrée hors de la ville. L’exécution est publique et fait l’objet d’une véritable mise en scène, de façon à servir d’exemple.

Un châtiment féminin ?

En réalité, les hommes aussi pouvaient être condamnés à l'enfouissement à vif, mais la peine usuelle était pour eux la pendaison. Or aucune femme ne pouvait être pendue au Moyen Âge. L'enfouissement était donc pratiqué comme alternative.

Pourquoi les femmes n'étaient pas pendues ?

Tout simplement pour respecter les règles de décence, en ne permettant pas que le public puisse regarder sous la jupe de la détenue. C'est donc par souci de moralité que ces dernières subissaient ce châtiment affreux !

Dans certains cas, les juges et le bourreau pouvaient toutefois faire preuve de mansuétude en mettant à mort la condamnée juste avant son enfouissement, comme l'illustre cette gravure du XVIe s., où la femme est tuée alors qu'elle est déjà dans la fosse, ici en position allongée. De nombreuses variantes locales de cette condamnation ont en effet existé.

Toutefois, même en présence de documents iconographiques, leur mise en œuvre reste difficile à comprendre. Très rares, les découvertes archéologiques permettant de détailler ces pratiques n'en sont que plus précieuses !



Une mise à mort par enfouissement à Fribourg (Suisse) en 1574. La condamnée est ici tuée au préalable, d'un pieu enfoncé dans le cœur.
Source : Détail d’une aquarelle, artiste anonyme - Zurich, Zentralbibliothek, Wickiana, ms. F. 21, f. 312v. Publié dans Puppi L. 1983, p. 27 (référence complète en bas de page).

Où enterrait-on les suppliciés ?

Les trois sépultures d'Orléans recèlent encore un mystère : pourquoi les corps se trouvent-ils à l'intérieur de l'enceinte ?

Il est normal que les condamnés ne soient pas inhumés dans un cimetière. Ils ne peuvent en effet être enterrés en terre consacrée. Les textes médiévaux mentionnent régulièrement des inhumations "sous le gibet" pour les dépouilles des criminels. La réalité est en fait mal connue, car il peut exister plusieurs lieux d'exécution, en fonction de la juridiction dont relève le procès (villes, seigneurs, pouvoir royal).

Ainsi à Orléans, les trois corps ne sont pas à proximité du gibet connu par les plans modernes, mais nous ignorons si, au Moyen Âge, d'autres gibets affichaient leur spectacle lugubre aux alentours de la ville.

Quoiqu'il en soit, les corps n'auraient pas pu avoir été enfouis dans l'enceinte, le long d'habitations.

Encore visibles sur cette carte de 1581, les "fourches patibulaires" se trouvent sur la place du Martroy, à côté de la Cathédrale, ce qui n'est pas la norme : les terrains sur lesquels ont lieu les mises à mort sont en effet implantés hors des remparts.

Le gibet d'Orléans a en fait été intégré à la ville lors de la construction de la dernière enceinte, en 1485. Il se trouvait auparavant au nord de l'une des portes d'entrée, la porte Bannier.




Plan d'Orléans en 1581. Point blanc : emplacement des découvertes de la rue Porte Saint-Jean. Agrandi : la place du Martroy, avec la représentation du gibet.
source : Orléans, Aurelia Franciae civitas ad Ligeri. flu. sita - Depingebat Georgius Hoefnagle, 1581. BnF, département Cartes et plans, GE BB-246 (XI 174-175).

Les trois femmes avaient donc vraisemblablement été mises à mort avant cette date, et avaient alors été effectivement enterrées extra muros, le long d'une route passante, ce qui est plus habituel pour un lieu d'exécution.


Parmi tout ce qu'il y a à voir à Orléans, nous vous présentons :

  • La porte Bannier : l'une des entrée de la partie de l'enceinte de la ville construite au XIIIe s.

  • La tour Sainte-Croix : l'une des tours du rempart du IVe.

  • Une portion de la courtine du rempart du IVe s., rue de la Tour Neuve

Les ressources à votre disposition


Revue de presse :
▪ Article de presse en ligne : « On en sait plus sur les squelettes retrouvés les mains attachées dans le dos, à Orléans », La République du Centre, le 24/10/2019https://www.larep.fr/orleans-45000/actualites/on-en-sait-plus-sur-les-squelettes-retrouves-les-mains-attachees-dans-le-dos-a-orleans_13670855/▪ Communiqué du service municipal d’archéologie :http://archeologie.orleans-metropole.fr/a/3958/des-inhumations-inhabituelles-rue-porte-saint-jean/▪ Emission de radio :https://www.franceculture.fr/emissions/carbone-14-le-magazine-de-larcheologie/les-damnes-de-la-terre
Pour les plus acharnés !
En savoir plus sur les crimes, sentences et châtiments au Moyen Âge :
Gonthier N. 2015 : Le châtiment du crime au Moyen Âge. Rennes : PUR, 2015, 220 p. https://books.openedition.org/pur/8963?lang=fr#tocfrom2n19
Vivas M. 2014 : Les lieux d'exécution comme espaces d'inhumation. Traitement et devenir du cadavre des criminels (XIIe-XIVe siècle). Revue historique, 2014-2, p. 295-312. En ligne Mašková P., Wojtucki D. : L’archéologie des lieux d’exécution en République Tchèque et en Basse-Silésie (Pologne). Dans : Les Fourches Patibulaires du Moyen Âge à l’Époque moderne. Approche interdisciplinaire : actes du colloque de Pessac (23-24 janv. 2014). Criminocorpus, 2019. En ligne. Puppi L. 1991 : Les supplices dans l’Art. Paris : Larousse, 1991, 173 p. (la ressource n'est pas en ligne, mais dans de nombreuses bibliothèques)