5 sites inaccessibles

Inexpugnables ou inconfortables ?

Raconté pour vous par Cécile, le 26 octobre 2023 - temps de lecture : 5 mn

Quand ? Il y a entre 2 000 ans et 500 ans.

Où ? Afghanistan, États-Unis, Grèce, Syrie, Israël + France, Pérou, Sardaigne, Sri Lanka, Suisse

Mais pourquoi faut-il toujours que les châteaux et autres forteresses se trouvent toujours perchées comme des nids d’aigle au sommet de toutes les montagnes et collines du globe ? Car après tout, quand on y réfléchit bien, ce n’est vraiment pas pratique. Certes, on peut y trouver refuge parce que ce ne sont jamais des endroits faciles à attaquer. On peut aussi espérer, de là-haut, voir arriver de très loin d’éventuels ennemis et donc se préparer au mieux à se défendre. Mais vivre retranché derrière des rangées de remparts, à 45 mn minimum de montée du premier champ et de la première route, ça décourage !

A 300 m de haut à la verticale : les vestiges de la vieille ville de Monemvasia (Grèce) - © Bgabel / CC BY-SA

Comme toujours, avantages et inconvénients sont mis en balance quand il s’agit d’occuper un site aussi difficile d’accès et d’aménagement qu’un haut relief.

Le plus gênant, c’est toujours l’accès à l’eau et à la nourriture, c’est pourquoi le siège est la tactique favorite utilisée pour réduire ces places-fortes. 

Il n’y a d’ailleurs presque pas de villes parmi ces sites haut-perchés ; le plus souvent, ce sont des postes militaires, qui servent aussi à imposer visuellement le pouvoir d’un seigneur sur un territoire, toutes époques et cultures confondues. Les villages et les villes se développent plutôt au pied de ces citadelles, sur les versants ou dans les plaines. On y est plus loin des contingents de soldats censés nous protéger, mais la vie quotidienne est beaucoup plus facile… toujours des choix à faire !

Voici 5 sites (et 5 petits bonus) propres à vous faire réfléchir à la question. 

Coupé du monde au sens propre, à Agia Triada, l'un des monastères des Météores (Grèce) ! Le cas des monastères et autres ermitages est spécifique, parmi les sites perchés. Les motivations à se couper du monde sont différentes des espaces profanes, car les privations sont recherchées : ce qui est un problème dans un cas est un bénéfice dans un autre ! - © Chabe01 / CC BY-SA

1. Monemvasia (Grèce)

C’est l’un des sites les plus touristiques du sud de la Grèce, mais il se mérite ! Pour commencer, Monemvasia est une île, uniquement accessible par un pont. C’est en fait un rocher, au sommet duquel, à 300 m de haut, est perchée la vieille ville, Kastro (le château). A présent abandonnée, elle a été fondée au VIe siècle. Eh oui, le VIe siècle, c’est l’époque mérovingienne en France, une période bien peu faste en termes de dynamisme urbain en Europe occidentale, mais très riche dans l’Empire byzantin, dont faisait partie la Grèce !

Le rocher de Monemvasia, depuis la côte grecque - © 27 october 2007 / CC BY-SA

La ville est devenue une place stratégique au cours du Moyen Âge, à la fois avant-poste militaire et douanier, port et centre religieux. C’est de cette époque que datent les longs remparts rectangulaires qui font la célébrité de Monemvasia et relient la vieille ville au port. Le site résista à l’attaque des Francs en 1204, lors de la 4e croisade, puis, en 1245 ne se rendit à l’armée de Guillaume II de Villardouin qu’après un siège de 3 ans ! En 1463, elle fut la dernière ville de l’Empire byzantin à tomber mais resta prospère sous domination turque.

Monemvasia vue du ciel, avec les remparts entourant la ville basse et, au sommet de la falaise, le piton rocheux abandonné du Kastro. Seule l'église Saint-Sophie subsiste - © Katsikas Pantelis / CC BY-SA

L’inconfort de vivre au sommet du rocher, à 40 mn à pied du bord de mer, a cependant fini par avoir raison du Kastro. Dès le milieu du Moyen Âge, c’est la partie basse de l’île qui était surtout habitée. Au sommet ne subsistait que les églises et le fort militaire. Durant sa période d’apogée, aux XIIIe-XIVe siècles, Monemvasia comptait tout de même 8 000 habitants.

2. Chehel burj (Afghanistan)

Vue de Chehel burj depuis le versant de la vallée de Bamyan, une oasis dans la montagne désertique - © Nicole, sur son blog The Adventures of Nicole

Chehel Burj, la « forteresse des quarante tours », a été édifiée sous la dynastie kouchane, entre le Ier et le Ve siècle, au sommet d’un petit mont tout à fait pointu, au milieu de la vallée de la Bâmiyân. Si le château a l’air de fondre comme un bouquet de caramels en plein soleil, c’est que les élévations de cette immense forteresse sont construites en briques de terre crues, qui s’érodent avec le temps. Toutefois, il ne faut donc pas imaginer que c’est l’usure des siècles qui a donné cette forme légèrement conique aux tours : il s’agit bien de leur architecture d’origine. En revanche, il en manque beaucoup, puisqu’il en reste en fait 34 et le plan initial en comprenait pas moins de 300, de plus de 20 m de hauteur.

On n'y monte qu'à pied, par des sentiers étroits - © Nicole, sur son blog The Adventures of Nicole

Le rempart entourait un des bâtiments répartis sur 2 pitons rocheux. L’ensemble formait un véritable verrou militaire de la très stratégique vallée de Bâmiyân, au milieu de la laquelle la forteresse se dresse. Avez-vous remarqué l'arisité du paysage, en dehors du fond de vallée ? Il ne fallait pas perdre le contrôle des terres agricole et  de l'eau. Rien que le ravitaillement de la citadelle ne devait pas être facile !

La vallée de Bâmiyân, ça vous dit quelque chose ? C’est celle-là même où 2 grandes statues de Bouddhas ont été dynamitées par les Talibans en 2001, comme on vous le rappelait dans notre article "8 grands sites archéologiques anéantis".

Chehel burj, la forteresse aux 40 tours - © P. Marquis - DAFA

3. Le Crac des Chevaliers (Syrie)

Le Crac des Chevaliers, à côté de Homs, est l’un des plus beaux châteaux médiévaux du monde. De conception parfaite, extrêmement bien conservé, les superlatifs ne manquent pas pour décrire la forteresse, construite (sur un précédent château kurde) à partir de 1142 par les chevaliers de l’Ordre des Hospitaliers, dans le cadre des Croisades. 

Le Crac des Chevaliers, au dessus de la plaine de la Boquée, survolé par les missions de reconnaissances de l'Armée du Levant, en 1936 - © Institut Français du Proche-Orient - ALIPH - Armée du Levant / CC0

Ce n’est cependant pas le plus perché, bien qu’il domine de plus de 500 m la vallée de la Boquée. Pourquoi l’avoir choisi ? 

Parce que la forme naturelle du bord de plateau sur lequel il se trouve a été renforcée de manière spectaculaire pour constituer un véritable glacis défensif. Du côté de l’à-pic, le château apparaît ainsi posé au sommet d’un cône parfait. Avec sa double rangée de remparts, son fossé et ses talus massifs, le Crac des Chevaliers épouse et couronne la montagne, qui devient elle-même partie prenante du dispositif militaire.

A droite, le pont est un aqueduc, ce n'est pas l'entrée du château - © Gianfranco Gazzetti - GAR / CC BY-SA

Le château était très bien conçu. Outre son système défensif remarquablement pensé, il disposait aussi d’un moulin, de vastes greniers, d’un puits et d’une grande réserve d’eau. Il pouvait être tenu par seulement 200 hommes (il en abritait environ 2 000). Il a résisté à plusieurs tremblements de terre et de nombreux sièges, et n’a jamais été détruit. 

En fait, une seule attaque réussit à passer la 1ere enceinte, la dernière, en 1270, mais l’armée du sultan Baybars recula devant le 2e rempart et il dut employer la ruse pour venir à bout de la forteresse : la garnison s’est rendue après avoir reçu une fausse missive, émanant du grand maître des Templiers, ordonnant la reddition de la place forte.

L’histoire du Crac est ensuite typique de celle de bien d’autres sites perchés, aussi majestueux soient-ils : il resta encore utilisé quelques dizaines d’années, mais tomba en désuétude avec la disparition des royaumes francs. Plus de guerre, plus besoin de forteresse, même si elle était efficace ! Les luttes armées des siècles suivants ne concernèrent plus ce secteur de la Syrie, et le château resta donc abandonné.

Un plan parfait, organisé autour de 2 enceintes concentriques. L’entrée semble modeste, mais cette porte sans châtelet de protection donne accès à une longue galerie couverte fermée aux 2 extrémités et surveillée par le haut. De quoi piéger d’éventuels assaillants - © Gerhard Haubold / CC BY-SA

4. Montezuma Castle National Monument (États-Unis)

Voici un édifice contemporain du Crac des Chevaliers… mais à l’autre bout de la planète, et d’une conception tout à fait différente ! Montezuma Castle, construit vers 1 100, est à la fois perché et enfoui, dans une grotte géante, à mi-hauteur d’une imposante falaise, à 24 m au-dessus du fond de vallée et à une douzaine de mètres sous le plateau, étonnant, non ? Ce n’est pas un château, mais ce qu’on pourrait appeler un village-immeuble. La grotte accueille, sur 5 étages, 20 appartements et des espaces de stockage, qui ont été occupés jusque vers 1 400.

Montezuma Castle, depuis le fond de la Beaver Creek - © Bernard Gagnon / CC BY-SA

Mais quel est l’intérêt d’aller se nicher à pareil endroit ? Pour le comprendre, il faut déjà considérer à quoi ressemble le paysage autour : une sorte de garrigue très rase, aride à perte de vue. Seuls les canyons sont irrigués et boisés, mais ils sont aussi soumis aux très violentes crues des cours d’eau qui coulent au fond. L’intérêt de vivre dans des villages pareils est donc clair : on reste à l’ombre, on peut descendre profiter du fond de vallée sans subir les désagréments des inondations et on est caché à la vue d’éventuels agresseurs. 

La vallée de la Beaver Creek, la rivière qui coule au pied de Montezuma Castle. D'autre cliff dwelling houses parsèment la falaise le long de la vallée - © The American Southwest

L’inconvénient, lui, saute aux yeux : comment sortir du village ? 

Si les Sinagua ont vécu là 500 ans, c’est que c’était possible évidemment… mais il ne fallait pas avoir le vertige et il fallait mieux avoir le pied sûr, car tout se faisait en escaladant au mieux des échelles, au pire directement le rocher, par de petites encoches servant de prises, taillées dans la roche.

Coupe du site de Montezuma Castle- © U.S. National Park Service - Matt Holly / Public domain
Maquette en coupe de l'intérieur de Montezuma Castle - © Roller Coaster Philosophy / CC BY

Montezuma Castle n’est pas du tout un site isolé. C’est une architecture caractéristique des cliff dwellings, ces hameaux accrochés aux parois abruptes des canyons de l’Arizona, du Colorado de l’Utah et du Nouveau Mexique (un très très vaste espace, donc). 

Il s’agit de l’un des modes d’habitats développés par les cultures des Ancestrans Pueblos, ou Anasazis. Le peuple qui a édifié Montezuma Castle est celui des Indiens Sinagua, dont nous avons déjà parlé à propos d’un autre site, non rupestre, celui-ci : Wupatki.

Envie d’en voir plus de Montezuma Castle ? Explorez le site en visite virtuelle ! (cliquez sur l’image)

5. Massada (Israël)

Voici le site le plus ancien de notre sélection, la forteresse légendaire de Massada, qui a donné bien du fil à retordre aux Romains et dont le siège, en 73 de notre ère, est raconté par l’auteur antique Flavius Josèphe. 

La citadelle occupe le sommet d’un éperon rocheux isolé et immense, coupé du reste du plateau par un profond canyon. Le sommet domine le désert de Judée d’environ 300 m et offre un panorama extraordinaire sur l’immensité du désert, la vallée du Nahal Metsada et, au loin, la Mer Morte.

La citadelle de Massada. Le long de la falaise, en blanc : la rampe d'accès construite par les Romains pour attaquer le site. Au pied de la forteresse, à gauche : les vestiges d'un camp romain -  © Dany Sternfeld / CC0, sur World History Encyclopedia

C’est ce site incroyable qu’a choisi le célèbre roi Hérode pour y édifier un palais fortifié somptueux, pensé comme un lieu de refuge, à la fin du Ier siècle avant notre ère. Édifié en cascade sur 3 terrasses superposées le long de la falaise, c’était un édifice très moderne, dans le style romain, dans lequel la maîtrise de l’eau jouait un rôle majeur. 

La vocation défensive du site a été renforcée pendant les guerres entre Juifs et Romains, entre 66 et 73 de notre ère. La citadelle comprenait aussi des habitations civiles, en plus de l'ancien palais.

 Vue aérienne de Massada. En arrière-plan, la Mer Morte - © Andrew Shiva / CC0
Évocation du palais du roi Hérode et des installations attenantes, par J.-C. Golvin - © Jean-Claude Golvin
Plan simplifié des vestiges visitables de la citadelle de Massada, toutes périodes confondues - © Quid

Massada est un site archéologique exceptionnel, car il ne reste pas que les vestiges du palais et des fortifications juives, il y a aussi ceux des travaux du siège romain : les 8 camps militaires qui entouraient la forteresse, le mur de 12 km qui les reliait entre eux et les restes de l’incroyable rampe d’accès construite pour atteindre la citadelle. 

Un site vraiment démesuré ! 

Au fil des siècles, il a été réoccupé sans jamais que les vestiges plus anciens soient détruits. Il s’agit de l’un des palais antiques les mieux conservés du monde.

C’est aussi le seul cas présenté dans cet article où la citadelle intégrait un véritable palais, avec ce que cela comprend de faste et d’apparat. Cela paraît bien compliqué de vivre au sommet d’une montagne dans un pareil désert, mais rien n’est impossible pour un roi qui veut montrer sa puissance. Sigiriya, pour ceux qui ne connaissent pas encore le site (voir ci-dessous), est un cas encore plus extrême !

Trois des camps romains entourant Massada et le mur les reliant - © Dana Murray / CC0, sur World History Encyclopedia

Nos sites bonus !

Retrouvez 5 sites perchés que nous vous avons déjà présentés, dans des articles ou en visite virtuelle, en cliquant sur les images ci-dessous

Sigiriya, le rocher du lion (Sri Lanka)

Le Machu Picchu (Pérou)

Riedfluh (Suisse)

Château-Gaillard (France)

Posada (Sardaigne)

Et vous n'avez pas tout lu ! 

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