Portraits de famille
Entre art et archéologie : les visages de nos ancêtres
Raconté pour vous par Cécile, le 09 juin 2023 - temps de lecture : 5 mn
Quand ? Il y a entre 2 500 et 40 000 ans environ.
Où ? France, Kenya, Tchad
Je trouve la Préhistoire fascinante, avec une petite préférence pour le Paléolithique moyen (il y a entre 300 000 et 40 000 ans avant le présent), quand il y avait encore plusieurs espèces humaines cohabitant sur la Terre.
Imaginez des climats, des paysages et de faunes que nous ne connaissons plus de nos jours… L’environnement façonnait des conditions de vie, des organisations sociales et un développement technologique si éloignés de ce que nous vivons qu’il est très difficile de se représenter la vie quotidienne nos ancêtres.
C’est pour cela que l’expérimentation tient une place si importante dans la recherche en Préhistoire, et que les ateliers pédagogiques sur l’allumage du feu ou la fabrication d’outils marchent si bien dans les musées !
En fait, même le corps de ces lointains ancêtres étaient différents des nôtres, endurcis par les épreuves de la vie… mais aussi biologiquement différents, pour ce qui concerne les autres espèces qu’Homo Sapiens. C’est captivant… mais n’est pas toujours très parlant face à une vitrine présentant des éléments de squelettes, rarement complets qui plus est ! C’est là qu’interviennent les alliés incomparables des archéologues : les paléo-artistes, dessinateurs et sculpteurs, capables de réincarner des individus morts il y a des siècles, des milliers d’années ou même des centaines de milliers d’années.
Le regard que l’on porte sur les périodes très anciennes ainsi que les techniques de représentations évoluent conjointement, ce qui permet maintenant de créer des œuvres extraordinaires, vraiment troublantes de réalisme et d’expression. On est loin des premières sculptures en plâtre d’hommes préhistoriques et des dessins les montrant complètement arriérés !
Nous vous laissons découvrir 5 portraits préhistoriques, réalisés par des plasticiens d’exception : la française Elisabeth Daynès, le suédois Oscar Nilsson et les frères Adrie et Alfons Kennis, des Pays-Bas.
1. Un tout petit Néandertal
Elisabeth Daynès est l’artiste que je préfère. Je la trouve particulièrement douée pour la reconstitution de la qualité de la peau des personnages et du modelé des corps des enfants et des bébés, dont il n’est jamais facile de rendre le côté potelé.
Et parmi toutes ses œuvres, voici celle que je trouve la plus touchante : la reconstitution de l’enfant néandertalien du Roc de Marsal (Dordogne). Cet enfant de 2 à 4 ans est mort il y a 60 à 70 000 ans.
Détail intéressant : certains caractères marquants des visages néandertaliens (le bourrelet sus orbital et le menton fuyant) sont absents ou très peu marqués chez ce petit.
Ce n’est pourtant pas un hybride Sapiens/Néandertal, ni une particularité de cet individu. D’après ce qui pu être observé chez d’autres enfants Néandertaliens, ces spécificités morphologiques se développaient en grandissant.
2. Redonner un visage au crâne "Gibraltar 1" de la carrière Forbes
La spécialité d’Oscar Nilsson, ce sont les bustes. Il propose des œuvres qui ont le style et la composition des bustes classiques de l’Antiquité ou du XIXe siècle… sauf qu’il propose des portraits de personnes beaucoup plus vieilles ! Admirez ici la reconstitution de l’une des Néandertaliens qui fréquentaient le rocher de Gibraltar.
On ne sait pas exactement quand cette femme a vécu, mais il est établi que le site a été fréquenté par son espèce dès 50 000 avant le présent et jusqu’à 28 à 24 000 ans. Gibraltar est l’un des tous derniers endroits où les Néandertaliens ont survécu, avant leur extinction définitive.
Il ne reste de cette femme que son crâne et il serait bien difficile de se rendre compte de ce à quoi elle pouvait ressembler sans le travail de l’artiste.
3. Le garçon du Turkana
Cet enfant de 8 à 12 ans a vécu au Kenya il y a environ 1,5 million d’années. C’était un Homo Ergaster, la première espèce, semble-t-il, à être devenue chasseuse. Longtemps représentée avec des expressions de grande stupidité et une posture voûtée, l’espèce reprend ici un peu de dignité !
Le visage enjoué et le regard pétillant de ce garçon, avec sa lance sur les épaules, permet de se rappeler que les Homo Ergaster étaient évolués et à l’origine de la culture qui deviendra l’Acheuléen. Apparue en Afrique à l’époque du garçon du Turkana, cette technique particulière de taille de bifaces a été diffusée en France autour de 700 000 ans avant le présent.
4. Du crâne de Broken Hill à l'homme de Kwabe
Remontons drastiquement le temps jusqu’aux arrières grands-cousins des Néandertaliens et changeons de continent. L’homme de Kwabe aussi appelé homme de Broken Hill, est un Homo Heidelbergensis mort aux environs de 299 000 avant le présent, en Zambie.
Il ne reste plus de lui que son crâne, découvert dans la mine de Broken Hill, en 1921. Comme dans le cas de Gibraltar 1, il s’agit d’une découverte fortuite et on ne se préoccupait pas tellement, à l’époque, de l’intégrité des sites archéologiques. Le gisement a ainsi été détruit, en même temps que l’exploitation de la mine continuait.
Chose absolument exceptionnelle pour l’époque, l'homme de Kwabe souffrait de très nombreuses caries. Il aurait même pu mourir d’une infection dentaire, aïe !
5. La mamie de l'Humanité
Nous voici aux racines du buisson généalogique de l’Humanité, avec une interprétation contemporaine de la célèbre Lucy, une Australopithèque Afarensis qui a vécu au Tchad il y a 3,2 millions d’années.
Les frères Kennis ont travaillé à partir d’une reproduction du squelette, complétée et remontée, comme le montre la première photo. Elle semble bien s’entendre avec son arrière-arrière-arrière-arrière petit-fils Florès, d’ailleurs…
Ça vous a plu ? Une prochaine fois, nous continuerons sur ce thème en vous présentant des situations plus récentes et surtout la manière dont s’articule le travail des archéologues et des artistes.
Vous remarquerez les expressions très vivantes des individus reconstitués : ils ont l’air rieurs, moqueurs, concentrés, suspicieux… Certains trouvent leur expressivité anachronique, comme si l’on projetait sur ces visages d’il y a plusieurs dizaines de milliers d’années nos propres réactions face aux événements de la vie. Je trouve pour ma part que ce sont ces qualités qui confèrent à ces œuvres une telle valeur de médiation entre nous et la Préhistoire. Nous nous sentons une plus grande proximité avec ces Humains lointains parce qu’on a l’impression qu’ils communiquent avec nous, qu’ils sont vivants, en somme. Il sera toujours temps de refaire ces sculptures si de nouvelles découvertes viennent remettre en question les données scientifiques actuelles… Et ce sera l’occasion de voir de nouvelles œuvres !