Douanes sous haute surveillance
Petite histoire du Quarantième des Gaules
Raconté pour vous par Maxence, le 14 février 2022 - temps de lecture : 5 mn
Quand ? période romaine
Où ? la France, les provinces des Gaules, les provinces alpines et l'Italie
Un monde global n’empêche pas qu’il existe des frontières, et encore moins des douanes et des impôts ! Dans un monde soumis à une même autorité politique (l’Empire romain), la mise en place d’infrastructures (routes notamment) et d’un ensemble de rouages administratifs (gouverneurs, fonctionnaires) et militaires (les armées) exige des ressources colossales.
Et si certaines richesses agricoles ou minières ont été rapidement exploitées (et ont même été l’une des motivations pour conquérir certaines régions), l’impôt reste une valeur sûre, quelle que soit la forme qu’il prend.
Il n’était pas difficile à l'empereur Auguste, à une époque où une grande partie de l’ouest de l’Europe est en cours d’intégration dans l’Empire, de savoir que la circulation des marchandises était une source colossale de bénéfices.
Ainsi est créé, vers 15 av. J.-C., la Quadragesima Galliarum, ou Quarantième des Gaules. Et ne croyez pas qu’il s’agissait d’un « privilège » réservé aux provinces gauloises : il existait le même dispositif pour nos voisins ibériques, la Quadragesima Hispaniarum ! .
ArchéOdyssée vous explique ce que c’est, comme ça fonctionne, et ce qu’on en connaît aujourd’hui.
1. Qu'est ce que la Quarantième des Gaules ?
C’est un impôt perçu par Rome sur l’ensemble des marchandises qui transitent par les frontières de la Gaule.
Comme son nom l’indique, il représente 1/40e de la valeur des marchandises, soit 2,5%. Une sacrée manne, quand on connaît la richesse agricole de la Gaule et de la péninsule ibérique, et la contribution de ces régions au marché italien et romain.
Deux stations identifiées à Zürich (Suisse) et Merano (Sud-Tyrol) laissent penser que cet impôt était perçu plus largement que strictement au frontières des nouvelles provinces gauloises.
Ces droits de douane étaient directement hérités de péages gérés par les peuples de Gaule de l’époque de l’Indépendance.
On connaît bien le cas alpin, car les peuples qui maîtrisaient les passages transalpins et les cols avaient, les siècles précédents, causé bien des problèmes aux Romains ! Ces tribus prélevaient un impôt auprès des marchands romains qui commerçaient déjà avec la Gaule, et même sur les armées ! Ce rançonnage (d’après les Romains) a en partie justifié qu’Auguste entreprenne la conquête des Alpes à partir de 25 av. J.-C.
L'impôt, moyen élémentaire pour intégrer de nouvelles recettes, et tout autant un instrument de pouvoir et de domination : il matérialise la soumission et l'intégration des peuples vaincus.
Voici un extrait de texte de l'époque d'Auguste, qui explique bien le fonctionnement de l'impôt prélevé par les tribus alpines, ici les Salasses, dans le Val d'Aoste (Italie du Nord)... et des représailles romaines !
[...] les Salasses réussissaient malgré tout à garder leur puissance et causaient de grands dommages par leurs brigandages aux voyageurs traversant leur territoire pour franchir les montagnes. Ainsi, quand Décimus Brutus s'enfuit de Modène, ils lui firent payer pour lui et ses hommes une drachme par tête, et quand Messala avait ses quartiers d'hiver près de chez eux, il devait payer comptant le bois de feu et le bois d'ormeau nécessaire à la confection des javelots et des armes d'exercice. Ces hommes allèrent même un jour jusqu'à voler l'argent de César et à faire rouler des rochers sur des colonnes de soldats, en prétextant qu'ils construisaient une route ou jetaient des ponts sur les torrents. Cependant, pour finir, Auguste les soumit complètement et les fit tous vendre comme butin de guerre [...]
Strabon, Géographie, IV, 7
2. Qui s'en occupe, qui gère cet impôt ?
Dans un premier temps, à une époque où l’administration romaine dans les provinces (et dans un empire qui s’étend à grande vitesse) s’organise progressivement, la perception de cet impôt est faite par une société, la societa Quadragesimae Gallariarum. Cette société est gérée par des publicains, le travail de prélèvement de l’impôt étant assuré par des employés sous le contrôle de responsables de station (intendant/vilicus). On souligne que ces personnels, qui exerçaient des fonctions impliquant le maniement et la comptabilité de fortes sommes d’argent, étaient le plus souvent des esclaves : il était plus facile de soumettre à la torture un esclave qu’un homme libre !
Ce modèle de perception, le plus courant à la fin de la République romaine, va progressivement être remplacé par une perception directe par l’État, probablement sous Septime Sévère (2e moitié du IIe s. apr. J.-C.).
3. Comment marquait-on les marchandises ?
Évidemment, pour pouvoir attester qu’on a bien payé son dû lors d’un contrôle, encore faut-il pouvoir le prouver !
Une très importante collection de plombs épigraphiques (plus de 4000 !), découverts à Lyon en 1858, nous éclaire sur cette question. Certains comportent des sceaux douaniers, émis par les autorités et permettant aux marchands de prouver qu’ils avaient rempli leurs obligations.
Si aucun des plombs connus aujourd’hui ne comporte explicitement la mention du Quarantième des Gaules, une plaque en bois découverte dans le port de Marseille comporte une inscription sans équivoque qui atteste l'existence de la station (ST) du Quarantième des Gaules (XL GALL) de Massilia (MASS). Cette plaque en bois avait été délivrée par les autorités douanières, et était sans doute attachée à des ballots ou des caisses de marchandises.
4. Quelle organisation de la douane ? Où sont les bureaux de perception ?
Sacrée question, car seules deux stations de perception ont été réellement identifiées lors de fouilles archéologiques. La première est celle de Saint-Bertrand-de-Comminges / Lugdunum Convenarum, capitale d’une cité au pied des Pyrénées, axe majeur du piémont et vers la péninsule ibérique. La plaque de marbre découverte lors de fouilles était probablement apposée au-dessus de la porte, et servait à indiquer la station (statio) du Quarantième des Gaules (XLG) de Lugdunum Convenarum (CONV.).
Une autre plaque indiquant aux commerçants l’emplacement de la station du Quarantième des Gaules est à Ostie, principal point d’arrivée des marchandises gauloises à Rome.
Si on ne connaît pas précisément l'emplacement de ces stations et leurs caractéristiques, on imagine que ces stations étaient situées en périphérie de la ville, pour faciliter la circulation des convois de marchandises, leur stationnement temporaire et le comptage.
Les infrastructures associaient probablement un grand espace (cour) et des bâtiments dédiés au personnel administratif, voire des habitations, un peu à l'image des stations routières qui accueillaient les fonctionnaires de l’État lors de leur déplacements.
Les autres stations sont attestées par les inscriptions, dans lesquelles on reconnaît la mention du Quarantième des Gaules à l’abréviation XXXX, XL G. ou encore XXXX Gall.
La station d'Avigliana, au pied des Alpes sur la route entre Turin et Suse, nommée Ad Fines XXX, est également connue par les Gobelets de Vicarello. Ces quatre gobelets en argent, découverts en Italie, décrivent, étape par étape, l'itinéraire entre Cadix et Rome au Ier s. apr. J.-C.
Les postes sont, naturellement, disposés à des endroits stratégiques, qu’il s’agisse de grandes villes portuaires ou de lieux situés au débouchés des principales voies romaines qui menaient en Gaule.
Les stations attestées par les inscriptions sont les suivantes (lieu actuel/nom latin) :
Borgo San Dalmazzo (Italie) – Pedona, au débouché du Val Stura
Avigliana (Italie) –Ad Fines/Fines Cotti (littéralement la frontière ou frontière des Alpes Cottiennes), au débouché de la voie de la Vallée de la Doire Ripaire
Genève (Suisse) – Genaua
Albertville ou Gilly (Savoie) – Ad Tur(…)/Ad Publicanos (littéralement chez les publicains, personnel qui percevait l’impôt), au débouché de la voie par le Petit-Saint-Bernard
Grenoble (Isère) – Cularo, au débouché de la voie par le Petit-Saint-Bernard
Lyon – Lugdunum, au débouché de l’ensemble des voies translpines
Aoste (Italie) – Augusta Praetoria, au carrefour des voies par les cols du Petit et du Grand-Saint-Bernard
Saint-Maurice (Suisse) – Acaunum, au débouché de la voie par le col du Grand Saint-Bernard
Arles – Arelate, port maritime à l’embouchure du Rhône
Marseille – Massilia, port maritime à l’embouchure du Rhône
Saint-Bertrand-de-Comminges (Haute-Garonne) – Lugdunum Convenarum, au débouche de la voie vers les Pyrénées et la péninsule ibérique
Zürich (Suisse) – Turicum
Merano (Italie) – Maia,
Ostie – Ostia, port principal d’arrivée des marchandises à Rome.
Malheureusement, le fonctionnement précis du Quarantième des Gaules n'est pas connu, comme il l'est pour la province d'Asie dont le règlement est conservé.
Pour autant, il est un bel exemple de la stratégie fiscale qui se développe en même que les conquêtes et l'extension des territoires sous domination romaine.
Une stratégie financière, mais également de pouvoir, l'impôt servant en même temps à marquer son emprise et son contrôle sur les régions et les peuples.
Pour aller plus loin, quelques références bibliographiques:
Jérôme France, Quadragesima Galliarum. l'organisation douanière des provinces alpestres, gauloises et germaniques, École Française de Rome, 2001.
Jérôme France, La station du Quarantième des Gaules à Lugdunum des Convènes (Saint-Bertrand-de-Comminges), Aquitania, 25, 2009. Lien
Jérôme France, Les stations du quarantième des Gaules dans les Alpes occidentales, manifestations du pouvoir, Actes du colloque de Yenne (2009), 2010. Lien