5 inondations catastrophiques
1- Drames à l'Âge du bronze
Raconté pour vous par Cécile, le 29 septembre 2023 - temps de lecture : 7 mn
Quand ? Il y a entre 4 000 ans et 2 800 ans.
Où ? Allemagne, Chine, France, Turquie
« Très fort risque d’épisode cévenol », voici une mise en garde météorologique que les habitants du Sud de la France connaissent bien, et qui augure toujours son lot de maisons inondées jusqu’au 1er étage, de voitures emportées dans des rues transformées en torrents de boue, de routes effondrées et de paysages de désolation, une fois l’eau retirée.
Il faut des mois pour se remettre des dégâts matériels d’une inondation catastrophique, des années parfois, sans compter les tragédies humaines, comme on l'a vu récemment en Libye.
Pourtant, pourtant, de nos jours, des protections techniques existent, des prévisions sont faites, les plans d’occupation des sols communaux intègrent le risque d’inondation. Pour diverses raisons, ils ne sont pas toujours efficaces ou suffisants, ainsi que les New-yorkais en ont fait l'amère expérience ce 29/09/2023.
Comment se fait-il que les conséquences de ces événements, somme toute naturels, semblent toujours plus lourdes ? Deux facteurs essentiels doivent être mis en parallèle : d’un côté, le changement climatique qui accentue et/ou multiplie les épisodes de ce type ; de l’autre les comportements des sociétés, qui occupent toujours plus densément les secteurs exposés à des risques d’inondation, soit en se croyant bien protégées, soit en ignorant le danger, même quand, rétrospectivement, il était évident que la prise de risque était très grande.
Qu'en était-il dans le passé, quand les prévisions météo n'existaient pas, mais que la densité humaine était beaucoup plus faible ? Il existe de nombreux sites archéologiques où l'on observe les traces de violentes destructions causées par des inondations. Parfois, l'endroit est réinvesti après des travaux de nettoyage ou de consolidation ; parfois, il est abandonné.
Les sites les plus spectaculaires sont évidemment ceux des lieux qui ont été tellement dévastés qu'ils ont été laissés en l'état, avec tous les biens des habitants et souvent leurs corps, fossilisés sous des mètres de décombres et de sédiments. Des siècles ou des millénaires plus tard, les fouilles remettent au jour ces instants tragiques. Comme à Pompéi, l’émotion reste très vive, parce que ce que l’on révèle, ce ne sont pas des témoignages de la vie quotidienne, ou des hommages rendus à des dieux ou des défunts, mais un instantané de drame à jamais figé dans le temps.
Voici, pour la 1ère partie de notre article, trois de ces catastrophes, survenues à l’Âge du bronze.
1. Tempête sur le lac de Constance
Les Alpes sont le berceau de ces sociétés du Néolithique et de l’Âge du bronze que l’on appelle les Palafittes. Sur la rive nord du lac de Constance, un village tout de bois a été construit, entre 1058 et 850 et 847 av. notre ère, par l’une de ces communautés. Les maisons, spacieuses et bien aérées, étaient construites sur pilotis, reliées entre elles et à la rive par une série de ponts plats et protégée par une haute palissade. Ce village prospère de pêcheurs, agriculteurs et artisans, a intégralement disparu à la suite d’une terrible inondation. Conjonction d’un fort épisode orageux et des crues des torrents alpins se jetant dans le lac, le niveau de l’eau a monté et de puissantes vagues ont proprement balayé l’ensemble des édifices.
Comment connaît-on si précisément cette histoire ? Tout simplement parce que cette tempête, qui a renversé les bâtiments comme un jeu de dominos, a généré un énorme brassage des vases du fond du lac, qui se sont mêlées aux boues amenées par les crues des torrents voisins, pour recouvrir l’ensemble des éléments de construction effondré et de tout le mobilier des maisons, comme un gigantesque jeu de mikado. Les habitants ont tout perdu et n’ont pas eu le temps d’emporter beaucoup de choses… mais il ne semble pas y avoir eu de victimes, ou, du moins, aucune dépouille humaine n’a été découverte. De telles tempêtes sur le lac de Constance sont rares. Le village de l’Âge du bronze final n’est d’ailleurs que le successeur d’une série de villages palafittes plus anciens qui se sont succédé au même endroit depuis le Néolithique. Le plus ancien a été construit en 3914 av. notre ère, d’après les données très précises de la dendrochronologie. En fait, le niveau du lac montait depuis des décennies. Cette inondation a été le point de rupture de la résistance des populations à ce changement inexorable. Le site n’a plus jamais été réoccupé.
Fouillé depuis les premières années du XXe siècle et à présent reconstruit, le site du Pfahlbauten Museum, à Unteruhldingen-Mühlhofen (Allemagne), est la meilleure évocation de la vie des Palafittes de toutes les Alpes. Nous vous en recommandons vivement la visite !
2. Tsunami en Asie Mineure : les conséquences de l'explosion du volcan de Santorin
Qui n’a pas entendu parler de la terrible éruption volcanique de l’île de Santorin, en Grèce, que l’on donne fréquemment pour la cause du déclin de la civilisation minoenne ? La chute des cités-états de la côte nord de la Crète auraient été la conséquence des ravages provoqués par la vague de tsunami qui a déferlé sur côte après l’effondrement du volcan dans la mer Égée. Comme souvent, la réalité est beaucoup plus complexe, mais ce tsunami a vraiment eu lieu et a vraiment laissé quelques traces caractéristiques dans les couches sédimentaires de cette époque.
A 227 km au nord-est de Santorin, la côte d’Asie Mineure a aussi été durement touchée. Le site de Çesme-Bağlararası, à Cesme (Turquie), a révélé les seules traces du tsunami enregistrées en contexte archéologique. Là, un village occupé depuis l’Âge du bronze ancien, vers 2 500 av. notre ère, a été ravagé par une terrible vague de submersion vers 1750-1700 av. notre ère, qui a balayé l’ensemble des édifices et causé la mort d’au moins un habitant, dont le squelette a été retrouvé, à côté de celui d’un chien.
Comment reconnaît-on une vague de tsunami et comment peut-on la relier à l’explosion de Santorin ? C’est d’abord que dans cette couche archéologique très particulière qui correspond à la sédimentation de la catastrophe, tout est chamboulé, retourné, brassé : blocs de construction, mobilier et dépouilles, humaines et animales, sont mélangées sans dessous-dessous avec de la terre, des sables marins, des coquilles, des débris végétaux… Et dans cette grande ratatouille sédimentaire et archéologique, il y avait aussi des cendres à la chimie caractéristique du volcan de Santorin.
A Çesme, la vie a cependant repris son cours après la catastrophe : le site n’a pas été nettoyé (inutile, tout était détruit et compacté sous les blocs et les cendres), mais un nouveau village a été reconstruit par-dessus, et seulement abandonné plusieurs siècles plus tard, vers 1320-1270 av. notre ère.
3. Coulée de boue dévastatrice dans le bassin du Fleuve Jaune
Vers 1920 avant notre ère, le gros village de Lajia, dans la plaine du puissant Fleuve Jaune, prospérait tranquillement sur les limons fertiles de la rivière, enrichis des dépôts des crues régulières. Parfois violentes, les inondations n’avaient apparemment jamais causé de catastrophes insurmontables, jusqu’à ce jour où tout a basculé en quelques minutes. Une énorme coulée de boue a déferlé sur la plaine, en ravageant tout et en tuant un très grand nombre d’habitants. Adultes, enfants, animaux, tous ont été emportés et recouverts par les sédiments qui ont littéralement fossilisé ce village de la culture Qijia.
Que s’est-il passé ? Ce cataclysme n’est pas la conséquence d’une crue du Fleuve Jaune. Il semble être le résultat d’un grand tremblement de terre qui a entraîné la formation de gigantesques coulées de boue sur les collines alentours. Ces coulées ont pu se former parce que le terrain avait déjà été fragilisé par des tremblements de terre précédents, qui avaient aussi déjà affecté les constructions de Lajia. De fortes pluies ont ensuite précipité l’effondrement des versants entourant la plaine et le drainage de la boue vers le village.
A ce moment-là, les habitants étaient déjà très secoués (c'est le cas de le dire). Les fouilles ont montré que la coulée de boue avait parachevé les destructions (effondrements, incendies) déjà engagées à cause du séisme. Il est vraisemblable que certains habitants étaient déjà morts lors de l'engloutissement du village.
Ouvert en 2015, le musée de site est très spectaculaire. Il met en particulier en valeur une vingtaine de squelettes encore figés dans la position qu’ils avaient au moment de leur mort, parmi lesquels des adultes serrant dans leur bras de petits enfants dans des postures de protection très émouvantes.
Vous vous demandez peut-être pourquoi tous ces exemples datent de l’Âge du bronze ? Est-ce que ça serait le signe d’un changement climatique à l'échelle planétaire à cette époque ? Non, non, pas la peine d’aller aussi loin !
C’est simplement que j’ai choisi des sites dont les vestiges, ou les restitutions qui en sont faites, sont particulièrement évocateurs. L’Âge du bronze (qui dure tout de même quelques 1 400 ans) ne semble pas une période aux environnements particulièrement instables. En outre, l’Europe et la Chine sont dans des sphères climatiques et géographiques beaucoup trop éloignées pour y voir un facteur de cause commun.
D'ailleurs, vous verrez dans le prochain article que le reste des périodes anciennes est également bien illustré.