Cinq sites des Outre-Mer : l'océan Atlantique
Guyane, Guadeloupe, Martinique, Saint-Pierre-et-Miquelon
Raconté pour vous par Cécile, le 02 mars 2023 - temps de lecture : 6 mn
Quand ? Les vestiges que nous présentons ont entre 5 000 et 120 ans.
Où ? Amérique du Sud (Guyane), Petites Antilles (Guadeloupe, Martinique), Amérique du Nord (Saint-Pierre-et-Miquelon)
Pour finir en beauté notre tour d’horizon de l’archéologie des Outre-Mer français, direction plein ouest, sur l’autre rive de l’Atlantique.
Du Sud vers le Nord, remontons les Amériques depuis la forêt amazonienne jusqu’aux confins polaires de l’Atlantique nord.
En 5 sites emblématiques, suivons les traces mystérieuses des peuples amérindiens qui occupaient tout le continent avant l’arrivée des Européens, et découvrons quelques vestiges représentatifs de l’importance des flux d’hommes et de marchandises et qui ont parcouru l’Atlantique dans toutes les directions.
1. Les pétroglyphes de la Carata et de la Montagne Favard (Guyane)
L’histoire de la Guyane n’est pas très bien connue en métropole… où plutôt, elle se limite à l’évocation des terribles bagnes de Cayenne, Saint-Laurent-du-Maroni et l’île du Diable (1795-1953) rappelée dans l’histoire d’Henri Charrière (Papillon). Nous vous emmenons toutefois plus loin dans le temps, avant la colonisation française du XVIIe siècle, sur les traces des Amérindiens qui occupèrent ce territoire bien avant l’arrivée des Européens. Qui étaient-ils ? D’où venaient-ils ? Comment vivaient-ils ?
Rappelons que le département se trouve au nord de l’immense région amazonienne, entre les deux fleuves Oyapock à l’Est, et Maroni à l’Ouest. La colonisation a entraîné un développement urbain et routier de la bordure littorale, mais l’intérieur des terres reste un espace très sauvage de forêt dense et savane, zones humides et bras fluviaux, accessible seulement par voie d’eau.
Dans l’état actuel des recherches, il semble que le peuplement de ce territoire ait commencé il y a un peu plus de 5 000 ans, par des communautés, très dispersées, venus de l’intérieur du continent, mais pas de l’océan. Originaires d’espaces distants parfois de plusieurs milliers de kilomètres, les groupes culturels principaux reconnus jusqu’ici ont avancés très progressivement, sans se croiser, ou au contraire en donnant naissance à des zones de peuplement mixtes.
Les populations vivaient de la chasse, de la pêche, de la cueillette et de la culture du manioc et du maïs. La plupart des lieux de vie sont des villages en plein air, dans des clairières ou sur le bord des cours d’eau. On en retrouve des fours et foyers, outils et objets de prestiges en pierre, des meules, des amas de coquilles (coquillages consommés), de la céramique...
Il y a très peu de sites archéologiques visitables en rapport avec ces populations, parce que presque toutes les constructions étaient en matériaux périssables et ne se sont pas conservés hors du sol. Quelques-unes de leurs œuvres artistiques sont toutefois parvenues jusqu’à nous, et parmi celles-ci les sites à pétroglyphes qui parsèment le département. Comme souvent avec l’art rupestre, leur signification reste mystérieuse, mais ils restent les témoins de l’enracinement des populations amérindiennes depuis plus de 5 000 ans.
Le site des roches gravées de la Carapa (Kourou) est l'un des plus faciles d'accès et l'un des mieux étudiés : au sol, de grands rochers plats ont servi de support à des artistes du XVe siècle (probablement). Ils y ont gravé plus de 200 figures, essentiellement anthropomorphes, dans un style filiforme. Plus à l'Est, mais toujours dans la bande littorale guyanaise, le site de la Montagne Favard (Régina) présente d'autres types de gravures : sur un rocher présentant une paroi verticale de 2 m de haut, on aperçoit cette fois un enchevêtrement de formes ou alternent courbes, traits et points, où se reconnaissent plusieurs serpents. Un style bien différent, qu'on ne sait pas dater.
Ces recherches archéologiques sont très importantes pour mieux donner leur place, de nos jours, aux quelques 10 000 Amérindiens qui vivent encore en Guyane. Leurs conditions de vie sont très difficiles. Ils sont largement minoritaires dans la population (environ 285 000 personnes) et leurs modes de vie traditionnels s’accordent très mal avec les bouleversements de la vie moderne. La jeunesse souffre d’un profond mal-être identitaire, que pourrait aider à résorber un meilleur éclairage sur l’ancrage historique de leurs ancêtres et le modèle d’adaptation à l’environnement équatorial qu’ont représenté leurs manières de vivre pendant des milliers d’années.
2. Les Amérindiens des Petites Antilles, au musée Edgar Clerc (Le Moule, Guadeloupe)
Par sa situation au milieu de l’arc des Petites Antilles, la Guadeloupe est au cœur des mouvements de populations qui ont traversé les Caraïbes. Avant les colonisations européennes et l’arrivée d’esclaves africains, au cours des XVII et XVIIIe s., les archipels étaient déjà peuplés.
En Guadeloupe, les sites les plus anciens datent de 3 000-2 000 avant notre ère. Ce sont des campements de pêcheurs-cueilleurs originaires d’Amérique centrale. Deux grandes familles culturelles se sont ensuite succédé. Les premiers sont les Arawaks, qui venaient du littoral vénézuélien et sont arrivés vers 400 avant notre ère, apportant l’industrie céramique et la culture du manioc. On connaît d’eux de vastes nécropoles et de très beaux et mystérieux pétroglyphes (à découvrir dans la visite de la semaine prochaine). Ils ont été supplantés entre 800 et 900 par les Caraïbes, presque entièrement exterminés entre le XVIIe et le XIXe siècle.
C’est au musée Edgar Clerc, au Moule, riche d’une importante collection archéologique, que l’on comprend le mieux comment vivaient ces populations. On découvre notamment comment certains groupes se sont isolés tandis que d’autres entretenaient des liens commerciaux et culturels plus importants à l’échelle des petites Antilles, mais aussi avec la côte sud-américaine.
3. Les vestiges de l'ancien Saint-Pierre (Martinique)
A la Martinique, nous n’irons pas voir de site très ancien, mais les vestiges poignants d’un épisode aussi spectaculaire que dramatique : l’éruption de la Montagne Pelée, en 1902.
Ce que l’on voit ? Les ruines de plusieurs quartiers et monuments de l’ancienne grande capitale culturelle et économique de l’île, Saint-Pierre, si pimpante et animée qu'elle était surnommée la "Paris des Antilles".
La ville a été intégralement soufflée par la nuée ardente qui suivit l’explosion du volcan le matin du 08 mai. A près de 400 km/h, le gaz brûlant balaya tout le flanc sud-ouest de la montagne, jusqu’à la mer, ne laissant aucune chance de fuite aux habitants et provoquant le naufrage de tous les bateaux qui mouillaient dans la rade. Plus de 30 000 personnes moururent en quelques minutes.
Cet événement traumatisant est encore très ancré dans les mémoires. Il est commémoré par deux musées et un monument, mais ce sont les vestiges des bâtiments en eux-mêmes qui sont les plus poignants. Toute la ville n’a bien sûr pas été dégagée, d’autant qu’une nouvelle bourgade (moins grande) s’est développée par-dessus.
Mais dans le silence des ruines, 3 m sous le niveau du sol actuel, on plonge dans le passé. On reconstitue sans peine la vie qui animait la cité du temps de sa splendeur et, comme à Pompéi, le cœur se serre en imaginant, levant les yeux, la vision de la nuée ardente en mouvement, étouffant tout le ciel.
4. Sites immergés des Petites Antilles
On ne parle jusqu’ici que de sites archéologiques terrestres, mais le fond de la mer des Caraïbes regorge aussi d’épaves, celles des milliers de navires qui ont sillonné ces mers chaudes depuis la toute fin du XVe siècle et ont coulé des suites d’une tempête, d’un accident, d’une attaque ou d’un fait de guerre.
Les plus impressionnantes et les plus fantasmées sont évidemment les galions espagnols des XVI-XVIIIe siècle, qu’on imagine chargés d’or et de pierres précieuses, ainsi que les bateaux pirates du XVIIe siècle, alourdis par le produit de leurs pillages… C’est une vision réductrice, évidemment, mais qui fait tellement rêver ! Et puis, après tout de telles découvertes existent, comme celle de la Nuestra Señora de Atocha, avec son extraordinaire chargement, dont nous vous avions parlé ici.
C’est ainsi que les eaux territoriales de la Guadeloupe et de la Martinique servent de dernière demeure à des centaines d’épaves de bateaux des XVI-XVIIe siècle, mais aussi de bâtiments beaucoup plus récents de tous types : navires marchands, de tourisme, de guerre… ainsi que des épaves d’avions. Un grand nombre de ces vestiges se trouvent à faible profondeur et peuvent être visités par des plongeurs.
Des recherches plus originales encore portent sur l’exploration d’habitats côtiers amérindiens qui ont été emportés à la mer par l’érosion littorale et dont les vestiges se trouvent maintenant immergés, comme sur le site de Grand-Cul-de-Sac Marin.
Les plongeurs y ont découvert un assemblage d’outils lithiques (meules, mortiers, pilons, haches, polissoirs), qu’on ne peut pas encore vraiment dater (ces types d’outils ont été utilisé de 3000 av. notre ère environ jusqu’à la fin de l’époque précolombienne).
Ils mettent toutefois en lumière l’importance des populations arawaks et caraïbes, qui ont disparu avec la colonisation des archipels, plus ou moins brutalement selon les îles, de maladies, déportées ou tout simplement exterminées par les Européens.
5. Vivre il y a 2 000 ans à l'anse à Henry (île Saint-Pierre, Saint-Pierre-et-Miquelon)
A quelques 3300 km au nord des Antilles, notre dernière étape sera Saint-Pierre-et-Miquelon, et plus précisément l’île de Saint-Pierre. On connaît l’histoire récente de l’implantation dans l’archipel de pêcheurs français (normands et bretons, puis basques), dès le début du XVIe siècle, qui utilisaient les îles comme lieux base saisonnière le temps de leurs longues campagnes de pêche à la morue dans l’Atlantique Nord.
La première ville officiellement française, Saint-Pierre, a été fondée en 1604. La possession du petit archipel et de la grande Terre-Neuve fut l’objet de nombreux et dramatiques combats entre la France et la Grande-Bretagne entre le XVIIe et le début du XIXe siècle, mais Saint-Pierre-et-Miquelon fut attribué définitivement à la France en 1815.
De cette histoire moderne mouvementée, il reste d’importants témoignages historiques et nul besoin de l’archéologie pour en dévoiler les mystères. En revanche, ce n’est qu’assez récemment (à partir des années 1970) qu’ont été mis au jour les vestiges plus ténus de l’occupation de l’archipel par les populations des Premières Nations.
Le site de l’anse à Henry, sur l’île de Saint-Pierre, est le mieux connu. Exploré depuis 1999, il révèle que l’île a été occupée de manière intermittente et par de petits groupes, au cours des 2500 dernières années. Les vestiges de ces campements successifs consistent en mobilier lithique (bifaces, racloirs, pointes de flèches/lances, lames…) rattachable à différentes traditions et époques.
Trois grandes périodes d’occupation ont été mises en évidence. L’endroit a d’abord été fréquenté entre 500 et 200 avant notre ère (culture dite de Groswater / paléo-esquimau ancien), puis dans la fourchette 660/940 de notre ère (culture Dorset / paléo-esquimau récent) ; enfin entre 1320/1625, par des populations Béothuks.
Mais que faisaient ces gens sur ce coin de terre battu par les vents ?
Situé sur une pointe de terre avançant au-dessus d’un détroit marin séparant Saint-Pierre de la petite île du Grand Colombier, le campement était en fait idéalement placé : on pouvait aisément y pêcher, y chasser les mammifères marins et y pratiquer la cueillettes des œufs d’oiseaux de mer. C’est l’abondance de ces ressources qui explique pourquoi cet endroit été réoccupé pendant si longtemps.
Pour voir en images le chantier de fouille de 2022 (et ses conditions météorologiques estivales), c'est ici en vidéo (3:15 mn)
Conclusion
D’un océan à l’autre, sur les 5 continents, ce tour d’horizon des cultures anciennes des Outre-Mer français tourne un peu la tête, n’est-ce pas ? Que de choses à voir !
La France, au sens administratif du terme, recouvre vraiment des aires culturelles aux antipodes les unes des autres, toutes aussi belles et intrigantes, dont nous avons été très heureux de parler ces dernières semaines… et qui mériteraient vraiment un meilleur éclairage en métropole !