Cinq sites des Outre-Mer : l'océan Indien
La Réunion, Mayotte, îles Éparses, Crozet, Kerguelen
Raconté pour vous par Cécile, le 16 février 2023 - temps de lecture : 8 mn
Quand ? Les vestiges que nous présentons ont entre 800 et 150 ans.
Où ? La Réunion, Mayotte, Tromelin (îles Éparses), île de la Possession (Crozet), île Amsterdam (Kerguelen).
Au Sud, tout au Sud, entre touffeur tropicale froid polaire, voici les îles françaises de l’océan Indien.
A l’exception de la Réunion, ce sont de très petites îles. Du fait de leurs positions géographiques respectives, plus ou moins éloignées de l’Afrique et de Madagascar, leurs histoires sont très différentes les unes des autres. La vraie rupture, c’est évidemment celle des îles chaudes de l’ouest, autour de Madagascar, et les îles désolées et si lointaines des TAAF (terres australes et antarctiques françaises).
Commençons par la chaleur des lagons de l’archipel des Comores, véritable pont entre l’Afrique, Madagascar et l’Asie…
1. La nécropole aux Perles d'Antsiraka Boira (Acoua, Mayotte)
Il y en a eu, des populations qui se sont succédées et des cultures qui se sont mélangées sur l’île de Mayotte ! Entre le Ve et le VIIIe siècle, l’île la plus au sud-est des Comores a été découverte et habitée par des communautés bantoues originaires de la côte africaine, distante d’un peu moins de 500 km.
L’île a prospéré dans les siècles suivants, en même temps que le reste de l’archipel, bénéficiant de sa situation idéale sur les routes commerciales entre l’Afrique et Madagascar et entre l’Afrique et l’Asie. Islamisée vers le Xe siècle, l’île est organisée en sultanats à partir du XVe siècle, peu avant les premiers contacts avec les Européens (marchands Portugais et Français).
De terribles guerres ont ravagé les Comores entre la moitié du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle (razzias d’esclaves, pillages, guerres de succession…), incluant des conflits récurrents avec Madagascar. A l’issue de ces longues décennies de troubles, l’île a été cédée à la France en 1841.
Nous n’irons pas plus loin dans l’histoire contemporaine de l’île, qui compte encore beaucoup de rebondissements jusqu’à notre époque.
A l’issue de ces longues décennies de troubles, l’île a été cédée à la France en 1841. Nous n’irons pas plus loin dans l’histoire contemporaine de l’île, qui compte encore beaucoup de rebondissements jusqu’à notre époque.
Concentrons-nous plutôt sur un site archéologique des périodes anciennes : sur l’île de Petite-Terre, dans la baie d’Acoua, la nécropole aux Perles d’Antsiraka Boira offre un instantané sur la société d’un village aux XIIe et XIIIe siècles.
Pourquoi ce nom ? Tout simplement parce que les défunts y étaient inhumés avec de splendides parures composées de minuscules perles de verre, plus rarement de coquillage, disposées en colliers et bracelets, ou cousues sur les vêtements et les ceintures.
Ces pratiques funéraires sont originaires d’Afrique de l’Est, mais les perles de verre viennent de beaucoup plus loin. Les ateliers qui les produisaient se trouvaient en effet… en Inde et en Asie du Sud-Est ! Il s’agissait de produits rares de très grand luxe, qui arrivaient à Mayotte soit par le Golfe Persique, soit directement depuis l’Asie, à travers l’océan Indien. D’autres perles, en coquillage ou en fragments d’œufs d’autruche, ont été importées depuis des ateliers côtiers du Kenya et de Tanzanie, à quelques 1500 km.
La nécropole aux Perles témoigne ainsi du dynamisme des échanges commerciaux à l’échelle de l’ensemble de l’océan Indien, mais aussi d’un important mixage culturel.
En effet, les populations ont conservé, dans leurs pratiques funéraires, des rituels issus de toutes les traditions qui se sont mélangées à Mayotte : musulmans (sépultures orientées vers la Mecque), malgaches (offrandes funéraires dans des vases au pied des défunts), austronésiens d’Asie du Sud-Est (usage possible de cercueils en forme de pirogues) et enfin les rites les plus anciens, ceux des ethnies non-musulmanes d’Afrique australe, à qui l’on doit les parures de perles.
Pour tout savoir sur ce site exceptionnel, téléchargez la publication des découvertes : M. Pauly, E. Jacquot, Antisiraka Boira, la nécropole aux Perles, DAC Mayotte, 2014.
2. Le bagne de l'Îlet à Guillaume (La Réunion)
Dans l’archipel des Mascareignes, on demande la Réunion !
C’est la plus grande des territoires français d’Outre-Mer dans l’océan Indien, mais c’est aussi celle dont l’histoire ancienne est la moins bien connue. Il ne semble en effet n’y avoir eu aucun habitant sur l’île avant sa prise de possession par la France en 1642, même si les Mascareignes (La Réunion, l’île Maurice et Rodrigue) étaient connues des navires malais (oui, de Malaisie), arabes et européens comme une escale intéressante.
Illustration : les trois îles des Mascareignes, en forme de pièce de puzzle, à côté de Madagascar, sur le planisphère Cantino, daté de 1502 - © Anonyme / public domainL’entrée de la Réunion dans l’histoire de France et le développement de son peuplement se sont faits dans la douleur. Vanille, canne à sucre et rhum, les industries florissantes de l’île, reposaient en effet sur l’esclavage. Les injustices sociales n’ont hélas pas pris fin avec la fin légale du système en 1848. La grande pauvreté conduisait souvent la population, dès l’enfance, a des expédients peu enviables pour survivre.
Les enfants arrêtés pour vol, mendicité ou simplement vagabondage étaient envoyés en prison, ou dans des colonies pénitentiaires agricoles, telle celle de l’Îlet Guillaume, dont les vestiges sont en cours d’étude et de restauration.
Ce terrible bagne pour enfants a été implanté en 1864 sur un haut plateau isolé, loin de toute habitation, dans la montagne et la forêt.
On y visitera les logements et salles communes, la chapelle, les terrasses supportant les parcelles agricoles, le système de gestion de l’eau sur le site (canalisations et bassins) et les chemins et escaliers qui desservait l’ensemble.
Un grand nombre de ces réalisations sont l’œuvre des condamnés, dont le plus jeune avait 7 ans. Les bagnards travaillaient dans les champs de vanille, de café ou de quinquina, forgeaient et s’occupaient d’une basse-cour. La colonie pénitentiaire a fermé en 1879. 3 000 à 4 000 mineurs y ont été enfermés en tout, pendant ses 15 ans d’ouverture.
Il existe beaucoup d’archives de la vie de cette colonie pénitentiaire, plans, textes, photos mêmes… Alors pourquoi fouiller le site ? Pour restituer et faire voir ce qui n’a jamais été montré, et ainsi donner la parole à ceux qui n’ont pas pu témoigner : les enfants incarcérés sur place.
Pour en découvrir davantage sur le bagne de l'îlet à Guillaume, regardez le petit reportage du 31/01/2021 proposé par France Info - Réunion 1ère (02mn 05s)
On notera que le bagne pour enfant n’est pas une spécificité de la Réunion. Il y en avait beaucoup d’autres en France métropolitaine, rivalisant tous dans le sordide.
Il fallut la terrible émeute du bagne de Belle-Île en Mer, en 1934, pour que le grand public ouvre (timidement) les yeux sur ces épouvantables endroits et que le dernier ferme… en 1977.
3. Tromelin (îles Eparses)
L’histoire épouvantable des esclaves de Tromelin fait partie de notre présentation de la semaine, car l’île a fait l’objet de fouilles entre 2006 et 2013.
Rappelons en 2 mots ce qui s’est passé sur ce confetti d’1 km², dépourvu d’arbre et de relief et de cours d'eau : le 31 juillet 1761, le navire français l’Utile fait naufrage sur un récif de corail, avec sa cargaison d’esclaves malgaches.
Au bout d’un mois, l’équipage français repart sur une embarcation de fortune fabriquée sur place à partir des restes de l'épave. Le capitaine promet aux Malgaches, entre 60 et 80 personnes, de revenir les chercher.
Les survivants attendront 15 ans… au bout desquels ne seront récupérés que 7 femmes vivantes et 1 bébé.
Les fouilles archéologiques ont permis de comprendre comment la communauté des naufragés s’est organisée pour survivre durant ces 15 années.
Les archéologues ont exhumés les abris excavés qui servaient de maisons, édifiées en blocs de corail et de sable induré, les protections qu’ils avaient essayé de mettre en place pour limiter les ravages des cyclones et tous les menus objets manufacturés fabriqués sur place et récupérés sut l’épave de l’Utile, qui a également été fouillée.
Être isolé à Tromelin, c’est être à chaque instant entre la vie et la mort, dans un univers clos et désolé au sein d’un microcosme social composé de gens polytraumatisés, entre l’enlèvement à Madagascar et la réduction à l’état d’esclave, le trajet à fond de cale, le naufrage et l’abandon.
Un tour de force que d’avoir réussi à s’organiser et s’adapter, même si presque tous sont morts en quelques années !
Le court (3mn 56s) et excellent reportage vidéo de France Culture vous fera comprendre comment cette survie incroyable a été possible.
Et pour en savoir plus sur l'opération archéologique, lisez l'excellent dossier "Tromelin" édité par l'Inrap sur leur site internet, à la suite des fouilles conduites sur place. Que restait-il de l'Utile ? Pourquoi n'a-t-on pas trouvé de cimetière sur l'île ? Toutes les réponses y sont !
Oubliez les lagons tropicaux et enfilez vos plus épaisses doudounes : le reste des découvertes de la semaine se passent dans les eaux gelées de la bordure sud de l’océan Indien, à son contact avec l’Antarctique, dans les Terres Australes françaises ! Mais qu’y a-t-il à voir sur ces minuscules bouts de terres ? Les vestiges du passage des marins, chasseurs et mêmes de quelques colons qui ont tentés de s’établir sur ces îles extrêmement isolées et inhospitalières… Des vestiges qui racontent des histoires de survie et de catastrophes écologiques.
4. La vallée des Phoquiers (île de la Possession, Crozet)
A mi-chemin entre l’Afrique du Sud et la Terre Adélie, faisons d’abord relâche aux Crozet sur l’île de la Possession, dans la baie américaine.
Les 3 îles (et 2 îlots) de l’archipel des Crozet n’ont jamais été habités de manière permanente, car il est trop difficile d’y vivre en autarcie. C’est qu’il n’y a pas grand-chose à brûler pour se chauffer, ni grand-chose à manger. Même en été, rien ne pousse d’autre qu’une toundra très rase et le climat est trop froid et humide pour faire pousser des légumes ou autres plantes comestibles.
En fait, l’ensemble des ressources doit être tiré de la mer : poissons et fruits de mer, œufs des oiseaux marins… et surtout phoques (otaries et éléphants de mer), tués par dizaines de milliers au cours du XIXe siècle. C’est pour cette dernière ressource naturelle que l’île a été occupée.
Découverte en 1772 avec le reste de l’archipel, l’île de la Possession accueille en 1803 son premier campement de phoquiers, spécialisés dans la chasse aux mammifères marins et le traitement de leurs dépouilles.
La vie de ces poignées d’hommes était terrible : débarqués pour plusieurs années dans ce climat froid et humide, abandonnés à leur isolement avec juste de quoi survivre le temps que leur navire revienne les chercher, ils avaient pour seule occupation le massacre des otaries, chassées pour leur fourrure, et celui des éléphants de mer, dont ils récupéraient la graisse pour la fondre et la mettre en fût, avant son exportation vers l’Europe et l’Amérique.
Il reste de notre petit campement de la vallée des Phoquiers les ruines de cabanes de vie et le fondoir à graisse, construction semi-enterrée en galet et terre surmonté d’une cheminée, au cœur duquel se trouvait un gros chaudron de fonte, chauffé par un grand foyer alimenté depuis une bouche extérieure. Il s'agissait d'une très petite installation, antérieure au grand développement des activités de chasse, dans la 2e moitié du XIXe siècle. Économie lucrative mais de courte durée : en 1835, toutes les otaries des îles Crozet avaient été exterminées. La chasse à l’éléphant de mer s’est maintenue à un rythme intermittent jusqu’au début du XXe siècle : il fallait attendre plusieurs années entre deux campagnes de chasse, pour que les stocks se reconstituent à peu près.
A quoi ressemblait ces énormes chaudrons qui servaient à faire fondre la graisse des mammifères marins ? vous en avez une très belle reconstitution ci-contre (© taaf)
Pour en savoir davantage sur l'archipel des Crozet, découvrez le site internet de Daniel Girard « Crozet, visite virtuelle » et explorez les paysages des îles grâce à ses galeries de vues spectaculaires.
5. Les baleiniers de l'île Amsterdam (Kerguelen)
On ne peut évidemment pas parler de la chasse aux mammifères marins antarctiques sans parler des baleines ! Comme les phoques, elles étaient avant tout chassées pour leur graisse, utilisée pour l’éclairage public et différentes industries (l’huile servait notamment de lubrifiant pour les machines).
Sur Amsterdam, l'une des petites îles qui compose le très resserré archipel des Kerguelen, voici les ruines d’exploitation de Port Jeanne d’Arc, aménagée 1908 par des armateurs du Havre pour le traitement des baleines pêchées au large. L’usine accueillait une centaine d’ouvriers.
Le halage et le dépeçage des animaux, qui arrivaient à la suite les uns des autres, nécessitaient une organisation importante et des bâtiments spéciaux étaient construits pour abriter les fondoirs à huile, qui tournaient à plein régime pendant la saison de chasse.
Les hommes à terre complétaient d’ailleurs la récolte de graisse en attaquant les éléphants de mers sur les plages. Bilan : en l’affaire de 20 ans (entre 1922 et 1931), toutes les baleines et les phoques avaient été exterminés. C'est ce qui a conduit à la fermeture de l'usine de Port Jeanne d'Arc en 1925. Les cétacés refont timidement leur apparition ces dernières décennies autour des Crozet et des Kerguelen.
Il n’y a pas eu que des Français sur ces terres australes et pas non plus que des chasseurs ! Chacune des îles accueille depuis la fin du XIXe siècle des bases scientifiques saisonnières. Pour en savoir plus sur ces Terres Australes, explorez le très beau site internet Archipoles, qui rassemblent et met à disposition les archives historiques des territoires polaires de France.
Conclusion
Alors ça va ? pas trop refroidi ? C’est que des forêts tropicales de la Réunion aux vents polaires des îles Kerguelen, l’exploration archéologique de l’océan Indien provoque de véritables chocs thermiques et de grands écarts culturels !
Dans notre prochain article sur les territoires français de l’océan Atlantique, vous pourrez faire relâche dans le calme des eaux turquoise des Antilles… mais gardez tout de même une doudoune et des gants à portée de main : le plus septentrional des territoires d’Outre-Mer est beaucoup plus au Nord !