Archéologie du tatouage
Encrés pour l'éternité
Raconté pour vous par Cécile, le 20 juin 2023 - temps de lecture : 5 mn
Quand ? Il y a entre 5 300 et 1 000 ans environ avant le présent.
Où ? Italie, Chine, Égypte, Grèce, Guatemala, Russie, Pérou.
La chaleur de ce début d’été fait tomber les manches longues, et plus les vêtements s’allègent, plus les tatouages apparaissent ! Cette mode est si bien installée que pas moins de 30% des jeunes gens entre 18 et 30 ans sont tatoués. Pourquoi le fait-on ? Quels modèles choisit-on ? Les explications varient selon les gens, évidemment.
J’ai pour ma part une petite déformation d’archéologue, face à quelqu’un de tatoué : je trouve rigolo d’essayer de dater les motifs représentés, sur la base de leur usure, de leur style, de leur technique. Je trouve aussi intéressant d’essayer de capter, à travers les tatouages, des bribes de la personnalité et des influences culturelles de leurs porteurs.
Malheureusement, je ne suis pas assez éclairée sur la question pour avoir une vision sociologique pertinente des choses, mais pour les connaisseurs, les messages que renvoient les différents tatouages sont clairs.
Qu’en était-il dans le passé ? Le tatouage est une pratique très ancienne, qui existait sur les 5 continents. Que retrouve-t-on exactement, en archéologie, en lien avec le tatouage ? Des corps momifiés, dont certaines parties portaient encore les dessins encrés il y a des centaines, voire des milliers d’années. On voit ainsi remonter des temps lointains des motifs très variés, facile à identifier ou mystérieux.
Comme pour toutes les interprétations en archéologie, on ne comprend bien ce que l’on voit qu’en tenant compte du contexte de découverte et des connaissances déjà acquises sur la société que l’on étudie. C’est en croisant les indices, à partir des trouvailles faites sur d’autres sites et en comparant les motifs avec ce que l’on observe aussi sur les statues, les céramiques, les bijoux… que l’on peut au mieux s’approcher du sens initial que représentait cette pratique dans une société et à une époque donnée. Plus étonnant, on retrouve aussi, plus rarement, des instruments de tatouage, qui renseignent sur les techniques utilisées.
Voici quelques-uns des plus anciens tatouages connus à ce jour.
1. Les lignes et les croix d’Ötzi (Italie) : les plus anciens tatouages connus à ce jour
On sait beaucoup de choses sur ce célèbre chasseur de l'Âge du Bronze, mort assassiné dans les Alpes vers 3 300 av. notre ère : ses vêtements et ses outils, l'ensemble de son équipement de chasse, son régime alimentaire, les parasites dont il souffrait...
Son corps, si bien conservé, a pu sans difficulté être reconstitué, au point que son allure est familière aux amateurs d'archéologie.
Comme il est presque toujours représenté habillé, on ne voit toutefois que rarement les 61 petits tatouages qu'il portait sur le corps.
Il s'agit de traits parallèles et de deux petites croix. Leur localisation, associée à ce qui a été compris des affections dont souffrait Ötzi, fait penser à des marques magiques destinées à le protéger de douleurs articulaires et musculaires récurrentes, notamment au niveau du bas du dos. Les tatouages sont faits sur des points très précis, évoquant aussi une forme très ancienne d'acupuncture.
2. La magicienne d’Hathor (Égypte)
Les découvertes de petits tatouages de traits courts sur des momies égyptiennes ne sont pas exceptionnelles. Cette pratique semble avoir été, comme dans d’autres civilisations de l’Antiquité, associée à certains groupes sociaux. Les fresques du mausolée de Ramsès III à Medinet Habou montrent des prisonniers de guerre en train de se faire tatouer, sans doute une marque représentative de leur nouveau statut d'esclaves ou de captifs. On retrouve également des motifs sacrés, beaucoup plus complexes, tatoués sur des personnes. Ils pourraient être le signe de l’attachement de leur porteur à un service religieux, comme prêtre ou magicien, à moins qu'il ne s'agisse de tatouages de guérison ou de protection faits sur des personnes lambdas.
Le cas exceptionnel de la jeune femme dont le torse a été mis au jour dans une tombe de Deir el-Medina, près de Louxor, a relancé le débat. Âgée de 25 à 34 ans au moment de son décès, il y a un peu plus de 3 000 ans, elle avait fait orner son corps de 30 tatouages répartis sur ses épaules, son dos, ses bras et son cou.
Les motifs sont tous associés à l’environnement cultuel de la déesse Hathor : on y retrouve Hathor sous sa forme de vache sacrée, des yeux d’Horus, des fleurs de lotus, des babouins assis et des serpents. Jamais autant de tatouages n’avaient été découverts sur une seule personne, ni des tatouages si diversifiés et à la technique aussi complexe.
Il a été proposé de voir dans cette femme une magicienne ou une prêtresse d’Hathor, mais il faudra attendre d’autres découvertes similaires sur des corps et des tombes mieux conservés pour appuyer cette hypothèse.
4. Les tatoués de Zaghunluq (Chine)
Nous avons déjà parlé des momies du bassin du Tarim dans deux articles précédents (Les momies du Xinjiang 1 et 2), inutile donc de revenir sur cette étonnante population. On retiendra surtout ici que les cultures de cette région extrêmement sèche du nord-ouest de la Chine sont connues essentiellement par leurs nécropoles, qui abritaient des corps naturellement momifiés, dans des états de conservation remarquables.
Décédés il y a entre 3 000 et 3 400 ans, vers 1 000-600 avant notre ère, et enterrés dans la nécropole de Zaghunluq, l'homme de Chärchän (ou Cherchern) et la femme inhumée avec lui présentent la particularité d'être tatoués, sur le visage et les mains, de motifs qui couvrent une grande partie des membres visibles. Les corps n'ayant pas été déshabillés, on ne sait pas s'ils en avaient d'autres ailleurs.
Le cas de ces deux individus est intéressant parce que la pratique du tatouage ne semble pas très répandue dans ces populations, dont on connaît pourtant des centaines de corps. Les études sur les cultures du bassin du Tarim étant encore peu avancées, on ne peut pour le moment pas donner un sens à ces pratiques et ses motifs... mais nul doute que cela viendra dans quelques années !
5. L’art des Scythes de Sibérie : les tatouages du plateau d’Ukok (Russie)
Toujours en Asie, quelques centaines de kilomètres au nord du bassin du Tarim, direction les montagnes de l’Altaï, en Sibérie, pour découvrir des œuvres d’art assez proches de certaines tendances actuelles en matière de motifs de tatouage. Sur le plateau d’Ukok, il y a 2 500 ans environ, des Scythes de la culture de Pazyryk ont été inhumés sous des tertres, dans un sol gelé qui a permis une bonne conservation de leurs dépouilles.
Parmi les défunts mis au jour, plusieurs individus portaient de somptueux tatouages représentant des animaux fantastiques en mouvement, dans un style tout en courbes d’une finesse remarquable, très proche du répertoire figuratif que les Scythes utilisaient en orfèvrerie.
Les hommes comme les femmes étaient concernés par cette pratique, dont on ignore exactement le sens. On sait cependant qu’il existait des assemblages de motifs différents pour chacun des deux sexes et que les tatouages étaient rajoutés un par un au fil du temps.
On remarquera que l'homme du tumulus 5 porte aussi des motifs non figuratifs (des points), en bas du dos et à l'intérieur de la cheville droite. Très différents dans leur technique de la réalisation des fabuleux animaux de la partie haute de son corps, ils ont également été interprétés comme des éléments d'un rituel de guérison de douleurs chroniques, qui semblent ici plutôt articulaires.
7. La Dame de Cao (Pérou)
Entre le Ier et le VIIe siècle de notre ère, la puissante culture moche dominait la côte péruvienne. Au cœur du fabuleux site cultuel et funéraire d’El Brujo, entre 400 et 500 de notre ère, une femme très importante a été enterrée sous la huaca Cao Viejo, une pyramide en briques d’adobe, dans un tombeau très richement décoré.
Principalement connue parce que sa momie (naturelle) était littéralement recouverte d’or et de pierres précieuses, la Dame de Cao portait également comme ornement des tatouages d’animaux et de figures géométriques tout le long du bras, araignées et serpents, qui descendent jusqu’au bout de ses doigts. Symboles de fertilité, de pouvoir, ou insignes de son pouvoir religieux, on ne sait pas ce qu’ils signifiaient exactement. Cette jeune femme d’environ 20 ans a été inhumée avec tous les honneurs dû aux souverains moches. Il s’agissait probablement de la reine.
Tatouages ou peintures corporelles ?
Et oui, ce n'est pas toujours facile de faire la distinction entre les deux, lorsqu'il ne s'agit pas de corps momifiés. En effet, la peinture corporelle a été beaucoup plus répandue que le tatouage permanent, sans qu'une pratique exclut l'autre, d'ailleurs.
Ainsi, les fresques très colorées des sites aztèques ou mayas, par exemple, montrent des corps et des visages recouverts de dessins variés, qui changent selon les contextes.
Il s'agit le plus souvent de peintures, et non de tatouages définitifs, mais ces derniers existaient aussi dans la même culture.
Il est plus difficile de se prononcer sur des motifs observés rarement, comme sur ce vase grec. Tatouage ou dessin superficiel ? Comme souvent face un cas rare, en archéologie, on peut émettre des hypothèses, mais on attendra des découvertes complémentaires (dans des sources iconographiques, textuelles ou, pourquoi pas, sur un corps exceptionnellement conservé) avant de trancher.