Archéologie du travail des enfants (1)
Raconté pour vous par Cécile, le 12 septembre 2020 - temps de lecture : 5 mn.
Seconde partie de notre article sur le travail des enfants dans les sociétés anciennes.
7. Travail, apprentissage et insertion sociale
Selon notre perspective, la mise à contribution des enfants à la vie économique d’une cellule familiale ou d’une communauté témoigne de l’extrême dureté des conditions de vie. De nos jours en effet, faire travailler les enfants au lieu de les instruire, surtout avant 14 ans, leur ferme les portes d’une possible ascension sociale. En outre, le travail juvénile est souvent associé à un climat de grande violence : enfants menacés, enfermés, battus, affamés …
De fait, de nombreux témoignages contemporains comme historiques attestent cette terrible situation. Les premières enquêtes réalisées dans les pays européens en voie d’industrialisation, au XIXe s., au sein des filatures, manufactures de textiles, verreries et mines, sont particulièrement éloquentes. Elles alarmaient en particulier sur l’état de santé catastrophique des petits, épuisés et malnutris, travaillant à partir de 5 ans jusqu’à 16 h par jour. Ainsi, le taux de mortalité de cette tranche d’âge était énorme, par exemple de 12 % au Bénélux au tout début du XXe s., avant la Première Guerre Mondiale.
Toutefois, la situation ne peut pas être évaluée de la même manière pour les périodes anciennes. En premier lieu parce que les mutations considérables qu’a impliqué l’industrialisation du XIXe s. sur la structure de la famille et de la société a créé ce que les historiens appellent un « nouvel esclavage » pour les travailleurs, allant de pair avec un fort exode rural, une grande pauvreté, une absence d’éducation et aucune qualification, pour ces emplois tous nouveaux.
Ces conditions distinguent nettement les XIXe-XXe s. des périodes préindustrielles. On y retrouve pléthore d’enfants au travail, tant dans les champs que comme artisans ou domestiques, mais au sein de communautés plus stables dans lesquels l’apprentissage précoce d’une activité professionnelle n’était pas nécessairement vécu comme une violence. Ainsi les épitaphes des stèles funéraires romaines font apparaître le métier de l’enfant décédé comme une composante positive de sa personne, pas comme une peine.
8. L'apport de l'ethnologie
Les données ethnologiques rassemblées sur des sociétés préindustrielles peuvent venir enrichir cette réflexion.
Les enquêtes et enregistrements menées dans les années 1920-1940 chez les indiens Pueblos (Hopis et Zuñis) révèlent par exemple comment s’apprenait le métier de potier à la fin du XIXe s. et au début du XXe s. : les filles destinées à devenir potières observaient les adultes et tentaient de reproduire des vases à partir de 5 ans, jusqu’à ce qu’elles soient capables d’en fabriquer de corrects. A partir de 2 ans, les enfants étaient familiarisés avec l’argile, avec laquelle ils avaient le droit de jouer, avant d’aider, en grandissant, à le ramasser, le transporter et le préparer.
L’expérimentation, association d’observation et de reproduction de gestes, techniques et attitudes, est, semble-t-il, le tout premier mode d’apprentissage jamais développé par les communautés humaines, les enseignements théoriques n’apparaissant que très récemment dans l’Histoire. Dans les sociétés anciennes, l’expérimentation et la confrontation avec le monde professionnel adulte sont donc à la base de l’apprentissage.
Ce dernier n’est alors pas conçu comme une violence ou un pis-aller, mais comme un mode normal d’entrée progressive dans la société.
9. L'école comme autre choix... ou pas ?
De la Préhistoire à l’époque moderne, la vie des enfants était donc conditionnée dès leur plus jeune âge et peu semblent avoir eu voix au chapitre concernant leur avenir.
Ce schéma de vie ne se dessinait cependant pas nécessairement dans un climat de brutalité, même si les châtiments corporels étaient courants.
Le travail des enfants s’inscrivait plutôt dans des normes sociales.
Il ne s'opposait d'ailleurs pas nécessairement à l'éducation scolaire : au Moyen Âge en France, dès le XIIIe s., existait dans les campagnes un réseau de petites écoles, destinées aux enfants (autorisés par leurs parents) des différentes couches sociales. Les enfants, surtout les garçons, mais aussi une partie des filles, y apprenaient à lire, écrire et compter, dans la perspective, notamment, d'accéder aux métiers du commerce. Dans cette perspective, l'arithmétique, par exemple, n'était pas une mince affaire : les monnaies en usage, régionales, royales ou étrangères, étaient très nombreuses, et il fallait rapidement et sans erreur savoir les convertir, en tenant compte des taux de change !
Cette scolarisation, qui s'étalaient sur plusieurs années, n'était cependant pas exclusive : les enfants n'étaient écoliers, au mieux, que quelques heures dans la journée, et pas forcément toute l'année. Comme c'est encore souvent le cas de nos jours, ils passaient le reste du temps à travailler, avec leurs parents ou chez un patron. Du reste, tous les enfants d'une famille n'étaient pas envoyés à l'école : seuls s'y rendaient ceux pour qui les tuteurs estimaient qu'un tel complément d'apprentissage serait utile dans leur future activité.
Toutefois, ces écoles n'ont pas toujours existé et n'ont pas non plus été systématiquement fréquentées. Ainsi, pour beaucoup d'enfants dans le passé, le travail précoce apparaissait comme une solution évidente, indépendamment même du niveau de vie des parents ou tuteurs, comme le montre le cas des mineurs de Hallstatt.
Finalement, offrir une formation à l’enfant paraissait aux adultes la meilleure chose à faire, même si les formes et conditions de ces apprentissages précoces seraient de nos jours inacceptables.
Pour aller plus loin :
- Vandenhoecke C., van Poppel F., Van der Woude A. M. 1984 : Le développement séculaire de la mortalité aux jeunes âges dans le territoire du Bénélux. Annales de démographie historique, 1983, p. 257-289. En ligne
▪ Le travail des enfants, considérations historiques et sociologiques :
- Baxter J. E. 2008 : The archaeology of childhood, Annual Review of Anthropology, 2008, Vol. 37, p. 159-175. En ligne - Crown P. L. 2014 : The Archaeology of Crafts Learning: Becoming a Potter in the Puebloan Southwest. Annual Review of Anthropology, 2014, 46, p. 71-88. En ligne - Kamp K. A. 2001 : Where have all the children gone ? The Archaeology of Chilhood. Journal of Archaeological Method ans THeory, 2001, 8-1, p. 1-34. En ligne - Kamp K. A. 2001 : Prehistoric children Working and Playing: a Southwestern Case Study in Learning Ceramics. Journal of Anthopological Research, 2001, 57-4, p. 427-450. En ligne
▪ Les petites écoles médiévales :
- Bretthauer I., Guyotjeannin O., Maneuvrier C. 2014 : Sur le chemin de l’école. Le réseau des petites écoles normandes du Moyen Âge à l’époque moderne, journée d'étude du centre Jean Mabillon, Ecole Nationale des Chartes, Paris, 2014 - Publication à paraître.