Les Vikings en Amérique
L'exploration de l'Atlantique nord
Raconté pour vous par Cécile, le 14 avril 2023 - temps de lecture : 5 mn
Quand ? Entre 850 et 1050 environ.
Où ? Canada : Terre-Neuve, Labrador, Terre de Baffin
Dans notre article sur l’archéologie des territoires ultramarins de l’Atlantique, nous sommes passés à côté d’un site archéologique particulier : celui de l’Anse aux Meadows, au Canada, à quelques centaines de kilomètres de Saint-Pierre-et Miquelon.
Il abrite les traces d’une civilisation médiévale bien connue en Europe mais très exotique en Amérique du Nord : les Vikings ! Voilà bien des gens auxquels on ne pense pas en premier quand on évoque l’histoire du grand nord canadien… Et pourtant, si.
A Terre-Neuve, intercalés chronologiquement entre la fréquentation régulière de l’île par les chasseurs amérindiens (entre 3000 ans environ avant notre ère et 800-900 de notre ère) et l’installation des premiers pêcheurs français au XVIe siècle, il y a bien eu des Vikings au Canada !
Le village de l'Anse aux Meadows (Terre-Neuve)
Que reste-t-il de leur passage ? Un ensemble de bâtiments et du mobilier qui ne laissent vraiment aucun doute sur l’identité des équipages arrivés là. Il s’agit d’un village de 8 bâtiments, dont 3 maisons longues, similaires à ceux construits en Scandinavie. Un peu à l’écart, un atelier de forge a aussi été identifié, ainsi qu’un atelier de charpenterie navale. Des outils et autres instruments typiquement vikings ont également été mis au jour.
Quand ce groupe de Vikings est-il arrivé ? Dans les années 1020, semble-t-il, et les voyageurs ne seraient restés sur place que quelques années. Il est toutefois possible que le village, quoiqu’abandonné, leur ait par la suite servi de camp de base, pendant de nombreuses décennies, à l’occasion d’autres campagnes d’exploration ou de pêche.
Les ressources de Terre-Neuve n’ont pas dû leur sembler assez intéressantes pour justifier une implantation plus pérenne. Sont-ils repartis ? Un petit groupe d’habitants s’est-il installé mais s’est-il étiolé sur place jusqu’à sa disparition ? On ne le sait pas vraiment… Sans doute que le village de l’anse aux Meadows n’était qu’une étape intermédiaire dans leur exploration des côtes du Canada. Depuis le Groënland, ils seraient même remontés jusqu’aux côtes glacée du Labrador et de la Terre de Baffin…
Que faisaient-ils si loin de la Scandinavie ?
Rappelons d’abord que les Vikings étaient de très grands marins, habitués aux traversées longues et aux mers froides. La recherche de nouveaux territoires faisait partie de leur culture, que ce soit pour les piller (cas des royaumes francs), pour qu’ils puissent accueillir un comptoir commercial (cas de nombreux sites de la mer baltique) ou qu’ils soient pleinement intégrés à des royaumes scandinaves et ouverts à la colonisation (cas de la côte est de l’Angleterre). Mais les vikings de l’anse aux Meadows ne venaient pas d’Europe continentale : ils venaient vraisemblablement de leurs colonies du sud du Groënland, dont nous avons déjà parlé dans un article précédent (les Vikings du Groenland).
L'exploration de l'Atlantique nord
Les incursions des Vikings en Amérique du Nord sont connues par deux récits épiques extraordinaires : la Saga d’Erik le Rouge et la Saga des Groenlandais. Ces histoires sont parvenues jusqu’à nous par deux manuscrits islandais des XIVe et XVe siècles, mais elles ont été couchées par écrit beaucoup plus tôt, probablement au XIIIe siècle, et racontent des événements survenus encore plus loin dans le passé, entre les années 950 et 1050.
Les deux textes parlent, dans un style épique, des voyages vers un lointain territoire appelé le Vinland, effectués par les équipages de deux explorateurs : Leif Eriksson, depuis le Groenland, et Thorfinn Karlsefni depuis l’Islande. Les navires ont longé la côte ouest du Groenland et ont traversé le détroit de Davis jusqu’à l’île de Baffin. De là, ils ont cinglé vers le sud le long de la côte est du Labrador et l’île de Terre-Neuve.
Mais pas facile cependant de les suivre à la trace, car ces récits ne sont pas des livres d’histoire, ni des manuels de géographie ! Ce sont des œuvres littéraires mettant en valeur les qualités des héros, et les descriptions des terres découvertes ne sont pas le cœur du propos. Il a fallu des débats animés pour resituer de manière consensuelle le trajet des navigateurs et localiser (sommairement) leurs principales étapes.
D'autres vestiges vikings en Amérique du Nord ?
Trois sites d’implantations successifs sont mentionnés dans les sagas : Helluland, probablement sur l'île de Baffin, Markland, probablement sur la côte du Labrador, et enfin Vinland, vraisemblablement Terre-Neuve. Il ne s’agit pas réellement de colonies, mais plutôt de camps de base, à la durée de vie incertaine. Si celui de l’Anse aux Meadows a connu un certain succès, ce ne semble pas être le cas des deux autres sites… à moins qu’ils n’aient, tout simplement, pas encore été découverts.
Pourtant, depuis la fouille du village de l’Anse aux Meadows, de nombreuses recherches ont été entreprises pour comprendre jusqu’où les Vikings ont pu aller le long des côtes canadiennes et où ils se sont arrêtés au cours de leurs explorations.
Vers le Sud, aucun site archéologique ou même objet en provenance de Scandinavie n’a jamais été découvert, ni dans les archipels du golfe du Saint-Laurent, ni sur les côtes. Il faut préciser que tous ces territoires étaient déjà peuplés et que les Amérindiens n’ont pas fait bon accueil aux Scandinaves, ainsi que le relatent les textes. En dépit du potentiel des ressources naturelles, l’hostilité des habitants a dû faire effet de repoussoir.
A Pointe Rosée, au sud-ouest de Terre-Neuve, les fouilles archéologiques entreprises entre 2014 et 2016, sur une forme perçue par télédétection (étude d’images satellitales) et supposée être une maison longue, se sont aussi révélées négatives.
Vers le Nord, en revanche, des objets originaires du monde scandinave ont bel et bien été mis au jour, sur plusieurs sites inuits du Nunavut.
Le plus ancien est celui de l’île Skraeling, à l’extrême nord de la mer de Baffin, où les artefacts datent des environs de 1200. Sur d’autres sites, ils sont plus récents et remontent aux années 1250-1500.
Faut-il chercher sur l’île Skraeling le fameux Helluland ? Ce n’est pas vraisemblable, car l’île est beaucoup plus au nord que le détroit de Davis, traversé par les navires vikings, et les objets sont plus jeunes de 200 ans que les voyages de Leif Eriksson et Thorfinn Karlsefni.
Alors que font-ils là ?
Deux hypothèses sont retenues : ils auraient été échangés avec les populations proto-inuits à l’occasion de campagnes de pêche ou d’exploration ponctuelles, ou bien ils auraient été ramassés sur des épaves.
En définitive, le grand Nord canadien réserve encore bien des mystères à résoudre !
Le réchauffement climatique pourrait avoir comme effet inattendu de révéler des sites archéologiques inconnus, libérés des glaces, comme cela commence déjà à être le cas en Norvège.
Les liens entre les populations arctiques d’Europe et d’Amérique pourront être ainsi mieux connues, qu’il s’agisse des explorations vikings ou des relations commerciales à l’échelle de l’Atlantique nord.