Le Top 10
des mosaïques romaines les plus étonnantes de France
Raconté pour vous par Cécile, le 05 juillet 2020 - temps de lecture : 8 mn
C'est bien connu, les Romains aimaient orner sols (et murs) de mosaïques. On en connaît de merveilleuses, partout dans le monde antique. La France en abrite beaucoup, et même si ce ne sont pas les plus célèbres, de véritables trésors se cachent dans les musées et sur les sites archéologiques ! Car l’art de la mosaïque s’est bien adapté en Gaule. Il existait même des écoles régionales, diffusant des modèles propres aux sensibilités des Gallo-romains.
C’est pourquoi je vous propose ici de découvrir celles que je trouve les plus étonnantes.
1. La mosaïque des auteurs grecs, Autun
Personnellement, je ne pense pas que je décorerai un jour le sol de ma salle à manger d’extraits de textes philosophiques…
Ça a pourtant été le choix des propriétaires d’une riche maison d’Autun (Augustodunum), la capitale romaine du très puissant peuple des Eduens, à la fin du IIe s. ou du début du IIIe s. Cette mosaïque est sans aucun doute l’une des plus originales de France, et montre que la culture grecque classique avait très bien été assimilée par les Gallo-romains.
Les trois panneaux conservés (sur une œuvre originelle d’environ 65 m²) sont comme les pages géantes et illustrées d’un livre de philosophie ! Dans 3 cartouches différents sont représentés les auteurs Epicure, Anacréon et Métrodore… entourés de plusieurs extraits (en grec) de leurs textes, connus à l’époque comme des maximes célèbres ! Les poèmes vantent les plaisirs de la vie, sa brièveté, et invitent à la bonne chère : « Celui qui veut aller se battre, il peut, qu'il y aille ! Mais moi, donne-moi, pour porter un toast, du vin au miel, garçon ! ».
2. La mosaïque des jeux du cirque, Lyon
Au IIe s. ap. J.-C., un aficionado a fait installer chez lui une impressionnante mosaïque de 15 m² représentant de manière saisissante une course de char dans ses moindres détails ! La force de cette mosaïque est le mouvement qui se dégage de la scène, dont le côté dramatique est accentué par le fond noir. On croirait entendre les cris de la foule encourageant les concurrents et les hurlements de douleur des chevaux et conducteurs chutant à la sortie du virage !
On y voit tout le déroulement de la course : les 8 équipages d’abord (bleu, vert, rouge et blanc), tournant autour de la spina, l’arête centrale de la piste, où une fontaine indique le nombre de tours effectués. A gauche se trouvent les stalles de départ, devant lesquelles se tient encore l’opérateur commandant l’ouverture simultanée des portes, comme sur un champ de course actuel ! Sur le bord de la piste, un assistant lance de l’eau sur les chevaux de son équipe pour les rafraîchir, tandis que deux cavaliers sont chargés d’encourager les conducteurs. Quel spectacle !!
3. La mosaïque aux bucranes, Valence
Dans un tout autre genre, voici un travail de grand maître : la très délicate mosaïque aux bucranes (crânes de bœufs). Témoignant du raffinement et de la richesse des élites de la ville de Lucus Augusti (Luc-en-Diois), cette œuvre est signée (chose très rare !) d’un maître italien de la région de Bologne ! Datée des années 40-30 av. J.-C., c’est aussi l’une des plus anciennes de Gaule.
Il n’en reste qu’un quart, mais c’est suffisant pour être ébloui par son style, à la fois épuré et sophistiqué. Le tapis principal, en noir et blanc, est orné de différentes formes géométriques. Les tours et les portes d’une enceinte de ville se voient sur le bord droit, tandis que le cartouche de l’artiste, Quintus Amiteius figure en bas de l’œuvre. Les 4 bucranes ornent les coins du panneau central, rehaussés de jaune et rouge, autour d’une fleur.
La finesse de cette œuvre tient surtout aux deux bordures en couleur (l’une autour du panneau central, l’autre au pied) qui contrastent avec le reste des motifs. Dans un style très figuratif, on admirera les rinceaux de vignes jaunes et vertes, mais surtout le luxe de détails et l’explosion de couleurs de la bordure basse, où de petits oiseaux chantent et picorent de magnifiques guirlandes de fleurs.
4. Le calendrier rustique, Saint-Romain-en-Gal
Un bon dessin vaut mieux qu’un long discours ! C’est ce qu’a dû penser, au Ier s., le commanditaire de cette mosaïque d’une maison de Saint-Romain-en-Gal, la riche banlieue de l’antique Vienna (Vienne). Sans doute propriétaire terrien, désireux de faire étalage de sa bonne connaissance des agronomes antiques, il a pris soin de faire figurer, en 28 panneaux, le calendrier des travaux des champs pour les 4 saisons. Rappelons que le monsieur, qui vivait dans une luxueuse maison de ville, n’avait jamais dû toucher une fourche de sa vie, mais peu importe : ce qu’il fallait, c’était montrer son expérience livresque de la chose … et sa fortune, puisque cette mosaïque de 40 m², extrêmement détaillée, a dû coûter quelques milliers de sesterces !
Huit panneaux représentent des allégories des Saisons. Les 20 autres sont une mine d’information pour qui s’intéresse à l’agriculture ancienne ! On y admire entre autre la cueillette des pommes, la préparation des jarres de stockage, le tressage des paniers de vendange, les fêtes et sacrifices saisonniers aux dieux, le foulage du raisin, le pressage des olives ou encore la cuisson des pains.
On est fatigué rien que de voir tout le travail à faire !
5. La mosaïque du Paon, Vaison-la-Romaine
La "villa du Paon" est une maison de l’antique Vasio Vocontiorum, construite vers 70-80 de notre ère. Ne loupez pas la plus belle de ses exceptionnelles mosaïques, au musée Théo Desplans, car c’est l’une des plus fines de Gaule : les tesselles (petits cubes) utilisées ne mesurent parfois que 5 mm de côté ! Cette finesse, associée à une incroyable palette de couleurs, donne un relief incomparable aux motifs, essentiellement des animaux, qui semblent ainsi sortir du sol !
Comme souvent en Gaule, c’est un ensemble de panneaux, ici polygonaux, agencés comme les pétales d’une fleur, dans un grand cercle. Chaque polygone renferme un oiseau, comme autant de petites cages : deux canards, deux perdrix et deux perroquets. Au centre trône le fameux paon, qui fait une roue magnifique. Dans l’un des angles de la mosaïque, un superbe animal imaginaire est représenté : l’avant du corps est celui d’un léopard, l’arrière se perd en une très longue queue d’anguille entortillée. Détail insolite : cette mosaïque devait être très fragile, car certains endroits ont été restaurés durant l’époque romaine. Hélas, n’est pas artiste qui veut : les rajouts sont beaucoup plus grossiers !
6. Coquillages et crustacés… la mosaïque des thermes de la villa de Montcaret
Voici une mosaïque qui sent l’iode ! Au IVe s., les habitants de la villa de Montcaret (lisez notre présentation !), vraisemblablement nostalgiques de l’océan, ont décidé de refaire à leur goût tous les sols de leur maison, allez hop ! Résultat : de splendides ensembles de mosaïques très colorés, conservés sur site, dont l’adorable mosaïque de la mer dans les thermes de la villa.
Cloisonnée en 16 carrés séparés par des entrelacs colorés, elle met en scène plusieurs espèces de poissons, des coquillages de différentes formes et couleurs, ainsi que deux petites seiches et deux poulpes. Très judicieusement installée dans le fond d’une piscine (aux parois de marbre rose), la mosaïque permettait de croire qu’on nageait dans l'océan, les pieds chatouillés par les petits poissons et les tentacules de poulpe…
Décidément très portés sur les produits de la mer, les propriétaires ont également orné le sol de leur immense salle à manger d’une spectaculaire mosaïque à motif d’écailles de poissons !
7. Taïaut ! La mosaïque de la chasse au cerf, Lillebonne
A l’époque romaine, la chasse faisait partie des loisirs ordinaires des élites. Pour les invités à qui il n’avait sans doute pas le temps d’expliquer son passe-temps favori, le propriétaire d’une riche maison de Juliobona, l’antique Lillebonne (Seine-Maritime), a fait recouvrir le sol de sa salle à manger d’une mosaïque de presque 60 m² représentant, quasiment grandeur nature, 4 moments clefs de la chasse.
Selon les modes en vigueur au IVe s., personnages et animaux sont présentés dans un décor réaliste, autour d’une scène mythologique montrant un dieu entreprenant une nymphe, (métaphore de la chasse amoureuse). La chasse orne les 4 côtés. Le premier représente le sacrifice à Diane, au départ de la chasse. Un cheval piaffe, un chien est à l’affût, et un serviteur tient à côté de l’autel un cerf domestiqué. Sur le second, la troupe se met en marche avec son cerf, qui brame (3e panneau) pour attirer ses congénères sauvages. Derrière un buisson, un archer ajuste son tir : c’est la chasse dite « à l’appelant ». Sur le 4e côté, c’est le galop d’une chasse à courre, les chiens lancés derrière un animal qu’on ne voit pas.
Cette mosaïque au rendu très dynamique est souvent présentée comme la plus belle du nord de la Gaule !
8. En pleine lumière : les mosaïques de la villa de Séviac, Montréal-du-Gers
Je ne présenterai pas la gigantesque villa de Séviac, qui fait l’objet d’un autre article (c’est ici !). Il suffira de dire qu’il reste, encore en place, 650 m² de mosaïques restaurées. C’est le plus vaste ensemble de mosaïques de France conservé in situ !
A Séviac, pas de pompeuse représentation de tableau mythologique, pas de personnage… pas de figuratif du tout, en fait. En dehors de quelques feuilles de vigne et grappes de raisin égarées, il n’y a que des motifs abstraits, le plus souvent géométriques. Du Vasarely avant l’heure (en moins psychédélique quand même !). Il faut dire que nous sommes au Ve s. ap. J.-C., et la mode a beaucoup changé depuis la sévère mosaïque aux bucranes !
Très variées, les mosaïques de Séviac sont à la fois chamarrées et assez sobres dans les motifs. Elles s’étendaient dans toutes les parties de la maison (sur 1500 m² carrés à l’origine), mais les plus spectaculaires sont celles des grandes galeries ouvrant sur le jardin intérieur. En effet, les jeux de lumière sur les sols colorés et les marbres gris, roses et blancs des colonnades sont encore maintenant magnifiques, alors quand tout était conservé… ah ! voilà qui donne envie d’un voyage dans le temps !
9. La mosaïque du dieu Océan, villa de Saint-Girons, Maubourguet
Je sais, il y a déjà une mosaïque du Dieu Océan à Saint-Romain-en-Gal, et alors ? Celle de Maubourguet est tellement différente de sa célèbre homonyme que ça méritait évidemment une présentation !
Installée au IVe ou au Ve s., la mosaïque de la villa de Saint-Girons présente certains points communs avec celle de Montcaret : elle décorait le fond d’une piscine et on y voit aussi, dans des panneaux délimités par des torsades jaunes et rouges, des animaux marins (poissons, dauphins, poulpes), ainsi que des canards. Le visage du fameux Océan orne le panneau central.
La notice aurait pu s'appeler « un mosaïste sous acide ? » tant le portrait est étonnant : c’est un dieu blafard, aux oreilles très hautes évoquant des ouïes, dont tout le bas du visage disparaît dans une barbe et une moustache ondulant comme une forêt d’algues. De l’eau est retenue entre les deux pinces de crabes qui sortent de son front. L’ensemble évoque quelque chose entre une boule à neige et la couronne de la Reine d’Angleterre recouverte d’une coquille Saint-Jacques. De ses narines, enfin, sortent deux gros poissons à barbillons ! A la décharge du mosaïste de Maubourguet, il n’a fait que reproduire un modèle : on retrouve en effet ce type de figuration du dieu dans plusieurs mosaïques de Tunisie ! Les goûts et les couleurs …
10. Les mosaïques des villas des Landes, Hastingues
Ce n’est pas une, mais plusieurs mosaïques que je propose pour finir. Bien que fragmentaires, elles illustrent la richesse et la diversité des décors des villas landaises. Toutes tardives (IIIe – Ve s.), elles sont exposées à l’abbaye d’Arthous (Hastingues), et proviennent de 3 villas : celles de Barat-de-Vin et du Logis de l’Abbé, dans le village voisin de Sorde-l’Abbaye, et celle de Mouneyres, à Sarbazan.
Ce ne sont ni les plus fines, ni les plus complètes, alors en quoi sont-elles remarquables ? C’est que, sans aucune comparaison possible, ce sont les plus fraîches et les plus lumineuses que j’ai vues ! Pour une bonne raison : les tesselles, assez épaisses, sont en marbre, et ne se sont jamais ternies. Les blancs restent plus blancs que blancs, les verts et bleus ultra vifs, les jaunes bien dorés. 1 600 ans après leur fabrication, elles illuminent désormais les murs de la galerie de l’abbaye d’Arthous, toujours aussi vives et brillantes. C’est un émerveillement pour les yeux !
Lorsque le palais de l’abbé, à Sorde-l’Abbaye, sera rouvert au public, il sera possible d’admirer deux autres extraordinaires mosaïques de cette villa, dont une, in situ, percée par des tombes mérovingiennes. Ah les sagouins !